Le Fonds Actions Addictions, la Fondation Gabriel Péri et la Fondation pour l’Innovation Politique ont réalisé une enquête portant sur la perception des addictions chez les jeunes et sur l’acceptabilité des différentes mesures de prévention et de soins. Le groupe mutualiste VYV soutient également cette enquête.
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Vinum et circenses, ou quand l’économisme nuit gravement à la santé
Dr. Mario Blaise, psychiatre, chef de service du centre médical Marmottan
Dr. Marc Valleur, psychiatre, centre médical Marmottan
Depuis quelques mois, sans pour autant qu’il n’y ait de politique encore clairement définie concernant les addictions, plusieurs signaux inquiétants émanent du gouvernement : tentative de promouvoir les bienfaits du vin par rapport aux autres alcools, projet de privatisation de la Française des jeux, contraventionnalisation pour les fumeurs de joints… Ces mesures semblent plus motivées par des considérations économiques que de santé.
Avec raison, plusieurs confrères addictologues ont réagi aux propos du Président de la République, qui a déclaré « il y a fléau quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin ».
En soutien à la ministre de la Santé, les addictologues rappellent que « vu du foie, le vin c’est bien de l’alcool », et que 50 000 morts par an – au moins – sont attribués à l’alcool en France.
Le « binge drinking » des jeunes gens, pour spectaculaire et inquiétant qu’il puisse être, n’est pas le principal « fléau » lié à la consommation d’alcool, et les risques hépatiques, cérébraux, cardiovasculaires ne frappent évidemment pas que des jeunes.
Rappelons donc à leur suite que l’on sait bien que vin, bière et alcools forts contiennent le même unique principe actif, l’éthanol, et que ce fait est connu depuis la découverte de cette molécule par Lavoisier. Seule change sa concentration, d’ailleurs en moyenne deux fois moins forte dans la bière que dans le vin.
Mais tout cela est su et connu depuis bien longtemps : au XIXe siècle, après les travaux de médecins comme Magnan ou Legrain, « l’assommoir » de Zola aurait dû rendre impossible cette défense du vin. Mais à l’époque déjà, les intérêts des viticulteurs étaient en France trop importants, et les discussions sur le « fléau », après une diabolisation de l’absinthe, finirent par aboutir en 1916 à une loi d’interdiction… de l’opium.
Pourquoi donc aujourd’hui encore nier l’évidence au point d’oublier un siècle de travaux sur l’alcool et l’alcoolisme ?
Pour les producteurs, il s’agit d’éviter que leur produit soit assimilé à une « drogue », à un fléau comme l’évoque le Président de la République, et d’essayer de faire du vin un emblème culturel national, un produit de plaisir associé à la fête et à la convivialité. Or, toute approche clinique sérieuse des addictions dans leur ensemble, démontre que, s’il est des substances ou des conduites plus addictives que d’autres, aucune ne peut être sans risque.
Comme pour le vin, il a été difficile de faire admettre que le jeu d’argent puisse être à l’origine d’une addiction souvent dramatique : le jeu devrait être associé à la légèreté, aux loisirs, au rêve, et non à la maladie, à la dépression, à la ruine et au suicide. Nous avons mis des années pour que le jeu excessif soit enfin considéré comme un problème sanitaire, et, comme pour le vin, il nous faut le rappeler sans cesse. Le projet de privatisation de la Française des jeux et les déclarations lénifiantes de sa directrice marquent un retour en arrière, au temps où l’addiction au jeu n’était pas censée exister.
« Il ne faut pas emmerder les Français », dit l’actuel Président de la République, reprenant la formule de Pompidou. Pas besoin de trop de règlements, ni de trop de régulations et laissons faire les uns et les autres, et notamment les marchands. La régulation est un cauchemar pour les marchands, qui rêvent d’un marché totalement libre, qui se régulerait tout seul, selon ses fameuses lois, promues au rang des lois divines ou des lois de la physique. C’est bien cette idéologie du marché qui transforme chaque citoyen – chaque cible pour les marchands – en clients sommés à la fois de consommer le plus possible, sans entraves et sans tabous, et de savoir se contrôler et trouver seul ses limites. Or nous savons combien, pour parvenir à la modération avec des produits possiblement addictogènes, nous avons besoin d’un environnement favorable qui ne considère pas que ces produits soient des « marchandises comme les autres ». L’alcool, le tabac, les médicaments et autres substances psychoactives, mais aussi le jeu d’argent et le sexe ne sont pas des « marchandises comme les autres ». Tout comme il existe, fort heureusement, des régulations pour diverses marchandises à risques, de l’énergie aux pesticides, en passant par les armes.
Il faut le redire, la plupart des objets d’addiction sont des « pharmaka (le pluriel de pharmakon) à la fois remède, poison, et bouc émissaire », possiblement source de plaisir, voire médicaments bénéfiques, et « en même temps », de possibles poisons mortels.
Le vin est indéniablement une drogue très dangereuse, que notre culture permet à une majorité de citoyens d’utiliser de façon modérée ou festive.
Le jeu d’argent et de hasard est un passe-temps innocent pour une large majorité, mais il devient une véritable drogue pour ceux qui tombent dans une pratique addictive.
Après le jeu d’argent, l’OMS s’apprête à classer comme maladie l’addiction aux jeux en réseau sur Internet. Pourtant le jeu vidéo, loisir principal de notre civilisation, présente quantité d’avantages et de qualités… Sauf pour les quelques-uns qui en font un usage addictif.
Les temps ont changé depuis Pompidou, les intervenants en addictologie, en général plus habitués à dénoncer les excès de répression en matière de drogues illicites, se retrouvent à défendre des positions qui pourraient paraître liberticides. Le propos n’est pas de demander plus de prohibition ou de mesures sécuritaires, mais de ne pas, sous prétexte de liberté, continuer à déréguler certaines mesures comme la Loi Evin qui en matière d’addiction avait permis de belles avancées. Ne pas progressivement glisser d’un modèle contrôlé à un modèle libéral qui laisse les aspects sanitaires et sociaux au second plan, où une fois de plus la prévention et l’intervention précoce passeraient à la trappe.
Pour y voir clair, il faut cesser de croire à la réalité de la « ligne Maginot » qui sépare, avec une certaine mauvaise foi, les « drogues » d’un côté et de l’autre des marchandises qui ne seraient pas des « drogues » (c’est l’effet pervers de la diabolisation des substances illicites, d’innocenter a priori les autres produits). C’est autant la nature du produit que la régulation de son offre et de son usage qui permettent de définir sa dangerosité.
Pour chaque produit à risque, il faudrait une régulation adaptée et des informations suffisamment justes et précises pour réduire les risques liés à leur usage et, bien sûr, ne pas laisser aux marchands la responsabilité de cette régulation et de l’information. La crise actuelle des opiacés aux États-Unis est un « bon » exemple de dérégulation par le marché et le système de soins, à l’origine d’une véritable épidémie de morts par overdose difficile à enrayer. Une légalisation contrôlée du cannabis, par exemple, pourrait facilement faire consensus dans le monde des addictologues, mais à condition de ne pas être sauvage et ultralibérale. En revanche, des projets comme la privatisation, même partielle, de la Française des Jeux ou le détricotage de la loi Evin, nous font craindre que le vent libéral entraîne des formes de déréglementation mal contrôlée, sans autorités de régulation : cela pourrait transformer le jeu d’argent en drogue presque aussi dangereuse que le vin.
Résultats de l’enquête nationale sur les pratiques de jeu d’argent et de hasard en France en 2014
Les résultats de l’enquête nationale sur les pratiques de jeu d’argent et de hasard en France en 2014 viennent de paraître. A noter qu’elle estime à environ 1 million le nombre de joueurs à risque modéré, et 200 000 le nombre de joueurs excessifs en France. Elle chiffre également le jeu des mineurs. Malgré l’interdiction, ils sont un tiers a avoir joué à un jeu d’argent et de hasard au moins une fois l’année écoulée. 11% d’entre eux peuvent être considérés comme problématique (cumul du risque modéré et du jeu excessif).
Lien vers l’enquête : http://www.economie.gouv.fr/observatoire-des-jeux/note-dinformation-ndeg-6-jeux-dargent-et-hasard-en-france-en-2014
Colloque « Fonctions des jeux aux différents âges de la vie : du normal au pathologique » samedi 6 juin
Fonctions des jeux aux différents âges de la vie : du normal au pathologiqueSamedi 6 Juin 2015, de 9h00 à 17h30 Institut de psychologie Étudiants : 15€ ; Autres : 40€ |
L’objectif de ce colloque est de souligner les aspects tant positifs que négatifs des différents types de jeux et de mettre en lumière leurs fonctions aux différents âges de la vie.
Thèmes et intervenants :
- Jeux, pluralité des approches : E. Belmas (Université Paris XIII), Th. Wendling (EHESS), V. Berry (Université Paris XIII )
- Jeux chez l’enfant : J. Wendland (Université Paris Descartes), S. Moutier (Université Paris Descartes), R. Blanc (Université Paris Descartes)
- Jeux chez l’adolescent : O. Phan (Inserm), G. Michel (Université de Bordeaux)
- Jeux chez l’adulte : C. Bonnaire (Université Paris Descartes), S. Barrault (Université de Tours), E. Rossé (Hôpital Marmottan)
- Jeux chez les séniors : M. Grall-Bronnec (C.H.U de Nantes), P. Narme (Université Paris Descartes)
Programme complet et fiche d’inscription à télécharger ici:
Les jeunes et l’alcool : évolution des comportements, facteurs de risque et éléments protecteurs (étude)
L’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) publie une synthèse des résultats de plusieurs enquêtes sur Les jeunes et l’alcool : évolution des comportements, facteurs de risque et éléments protecteurs.
Extrait du document :
Selon l’enquête Ireb 2007, la majorité des jeunes Français de 13 à 24 ans consomme de l’alcool de façon modérée, une fraction boit de façon abusive ponctuellement – proportion qui s’élève toutefois, notamment chez les filles – et une minorité – 6 % des garçons, 2 % des filles – présente de graves problèmes avec l’alcool.
Le contrôle parental joue un rôle modérateur décisif. Si les problèmes s’expriment plus fortement lorsque l’âge augmente pour fléchir à partir de 23-24 ans, des facteurs de vulnérabilité jouent dès avant. L’ensemble des enquêtes converge sur le fait que la consommation baisse légèrement, à l’instar de celle des adultes, mais que les ivresses sont en hausse. Or à cet âge, ces consommations ponctuelles importantes ont des effets négatifs au niveau du cerveau, notamment sur la mémoire et les fonctions d’apprentissage. Toutes ces enquêtes en population représentatives soulèvent la question des inégalités sociales qui pèsent lourdement sur les comportements de santé.
Pour être efficace, la prévention doit tenir compte des conditions sociales et s’appuyer sur l’ensemble des acteurs, parents et éducateurs. Il est démontré que plus elle débute tôt, dès l’école primaire, meilleurs sont ses résultats. Le médecin traitant joue également un rôle important par le repérage clinique qu’il peut effectuer chez le jeune et par le dialogue qu’il peut instaurer avec lui.
Les jeux vidéo : Discours des parents et paroles d’adolescent
Par Elizabeth Rossé et Irène Codina, psychologues
Depuis quelques années nous recevons à Marmottan des joueurs de jeux vidéo et leurs parents. Ce que met en relief cette expérience c’est une difficulté de communication ; nous pensons que celle-ci est fondée sur une divergence de vision à propos de l’univers même des jeux vidéo. Les parents, les adultes, les non joueurs font reposer leur position sur une distinction apparente entre une réalité mondaine « matérielle » et un virtuel psychique éventuellement « pathologisé ». Sur ce dernier point, le rôle des médias est à prendre en compte ; quant ils évoquent les jeux vidéo c’est très souvent pour parler de violence et d’addiction. Or cette différence entre réalité physique matérielle et réalité virtuelle psychique conduit à « éjecter » le virtuel de toute réalité c’est-à-dire de toute normativité acceptable.
Lorsque des parents viennent nous faire part de difficultés avec un adolescent qui joue trop, qui passe tout son temps derrière l’écran, « qui n’est préoccupé que par ça », ils donnent souvent une image tout à fait négative de ce qui passionne leur enfant. Ils en parlent en terme de « gâchis », de perte de temps. L’ensemble des actes de leur enfant se trouve être interprété au travers du prisme de leur inquiétude. La pratique des jeux vidéo devient l’unique responsable de tout un ensemble de comportements : de l’absentéisme scolaire à la violence verbale voire physique, en passant par une alimentation peu équilibrée et un sommeil déréglé.
Si on peut imputer une part de ces conséquences à un usage passionnel des jeux vidéo, ne pas s’en décentrer conduit chacune des deux parties à maintenir voire à renforcer ses positions dans un face à face peu constructif. Au quotidien, cela se traduit par des conflits récurrents entre adolescents et parents : ces derniers se déclarent usés, épuisés par l’insistance de l’adolescent à obtenir toujours plus de temps de connexion. Souvent ils cèdent devant la répétition des demandes et parce qu’ils ont aussi à faire face à beaucoup d’autres préoccupations : tant concernant le travail ou un autre enfant de la fratrie… Parfois cela peut conduire à une telle crispation que la famille se trouve dans un paradoxe : plus l’adolescent tente d’échapper au regard parental (en se réfugiant devant, derrière ou dans l’ordinateur) plus le contact parental se fait persécutif et anxiogène.
Globalement les parents s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants tandis que ces derniers qui ont bien du mal à s’inscrire dans une temporalité cherchent à vivre un présent intense et riche en sensations et émotions. Non qu’ils ne s’intéressent à rien, mais plutôt ils investissent dans le virtuel pour compenser leur manque d’emprise dans des réalités corporelle, affective et sociale qui leur échappent. Ils s’empressent de rejoindre ces mondes rassurants dans lesquels l’évolution est sûre, l’imprévisibilité réduite et la réversibilité garantie. Et s’ils préfèrent jouer plutôt que de regarder la télé et parfois veiller tard, c’est que la soirée est le moment où il y a le plus de joueurs en ligne et donc le plus d’aventures à partager. Dans le jeu s’est construit un réseau social au sein duquel chacun occupe une place. Appartenir à une Guilde est synonyme d’engagement et implique la responsabilité de tous. Si la pression horizontale des pairs a remplacé l’autorité hiérarchique verticale – qui n’est plus supportée – elle n’en demeure pas moins forte ! Pour les jeunes, les parents ne comprennent rien et jugent trop vite leurs activités ; le jeu exige certaines compétences et en développe d’autres qui sont déjà utiles dans un monde qui s’organise de plus en plus autour de ces nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Les jeux vidéo et les jeunes
Le plaisir de jouer est l’objet des premières rencontres avec les jeunes venus en consultation au sujet de leur usage des jeux vidéo. La possibilité pour le jeune d’évoquer sa réalité virtuelle auprès d’adultes est souvent limitée : les parents ne veulent en général plus rien entendre de positif concernant l’ordinateur, celui-ci étant devenu l’objet de conflits intarissables.
Dans ces conditions, les joueurs ne peuvent en rien décrire le monde fantastique dans lequel leur avatar évolue, ils ne peuvent pas faire part de leurs prouesses : leur habilité, leur adresse, les réflexes et les réflexions déployées pour mettre au point des stratégies ne trouvent pas écho chez leurs parents. Pourtant, lors de ces premiers entretiens, ils sont fiers de rendre compte du type de personnage qu’ils ont choisi, du niveau qu’ils ont atteint et des responsabilités qu’ils assument au sein du jeu. Et pour qu’ils s’emparent de cet espace d’écoute, parler du jeu est une entrée en matière rassurante pour des jeunes qui disqualifient l’acte de parole.
De plus nombre de joueurs ne se sentent pas ou peu concernés par cette problématique. Ce constat se reflète dans les prises en charge actuelles. En effet, ces consultants, pour l’essentiel des jeunes garçons âgés entre 18 et 20 ans, viennent sur l’insistance de leurs parents. En fonction de cette situation se dégagent différents profils, non réellement de joueurs, mais de suivis :
– Certains ne se sentent pas concernés par cette problématique et au cours du premier entretien, ils restent sur cette position, considérant que leurs parents s’inquiètent de trop. Ils n’ont pas l’impression que leur existence soit mise à mal par leur engouement pour les jeux vidéo. Ainsi, ils ne voient pas l’utilité d’un suivi et ne souhaitent pas revenir. A ces jeunes, nous indiquons notre disponibilité pour une rencontre ultérieure s’ils éprouvent un problème lié à leur usage des jeux vidéo.
– Pour d’autres, ils effectuent cette démarche comme un devoir, presque scolairement. Ils viennent à 2 ou 3 entretiens, qui restent sans suite. Au cours de ces quelques séances, ils évoquent des difficultés liées soit à un contexte familial conflictuel, soit à une scolarité moins investie qu’antérieurement et à des incertitudes concernant leur orientation ; les deux entrant généralement en interaction. Mais ils ne font pas le lien avec leur manière de jouer. Cette non adhésion à la prise en charge peut s’expliquer d’une part, par le fait qu’ils ne se sentent pas complètement responsables de cette démarche et d’autre part, le fait de jouer leur procure du plaisir et un apaisement par rapport à leur situation de vie. Dans ces conditions, ils ne peuvent donner sens au suivi.
– Quelques uns, sans nécessairement être dans un usage pathologique, venus demander de l’aide souvent après la visite des parents (ces derniers ayant facilité l’accès à la consultation) s’appuient sur cet accueil pour poser leurs difficultés. En période de transition, passant d’un environnement plus ou moins structuré, « protecteur », à un temps marqué par l’incertitude, le doute et impliquant des choix, ils ressentent la nécessité d’une écoute spécifique. Dans cette période d’instabilité, l’engloutissement dans le jeu a pu être une réponse transitoire aux angoisses suscitées par les changements de l’adolescence. En général, ce sont des prises en charge de courte durée ( 6 mois environ ) où les jeunes sont à la recherche d’un soutien leur permettant une mise à distance.
– Enfin, une minorité de ces jeunes peut être qualifiée de dépendante. Ils sont le plus souvent à l’origine de leur demande d’aide ayant une conscience accrue de leurs difficultés mais n’arrivant plus à arrêter de jouer. La prise en charge est plus longue que pour les autres joueurs : l’addiction est plus installée et répond à un malaise antérieur important. Nombres d’entre eux ont développé une dépendance à un « M.M.O.R.P.G » (Massively Multiplayer Online Role Playing Game », c’est-à-dire à un jeu d’aventures en univers persistant (présentation Power point).
Les premières séances du traitement ont surtout consisté à leur permettre de parler du jeu, des rôles qu’ils peuvent tenir, des attentes comme des plaisirs qu’ils peuvent y prendre. Peu à peu, ils peuvent aborder leurs difficultés scolaires, les tensions intra familiales, qui ont de loin précédé les problèmes d’études et d’engloutissement dans le jeu. Nous avons affaire à des problématiques qui semblent rapidement mobilisables, et après moins de deux mois de suivi, à raison d’une séance par semaine, le cadre psychothérapeutique permet de dépasser les simples conseils d’aide au contrôle ou à l’abstinence du jeu, pour se rapprocher d’un suivi de jeune présentant des troubles phobiques, dans un contexte de difficultés familiales anciennes. Mais si cet abord relativise la place de l’addiction au jeu, qui apparaît plus symptomatique que processuelle, il met aussi en évidence une possibilité (qui est certes loin d’être la règle) de déplacement de symptôme, à travers les débuts d’une alcoolisation avec répétition des ivresses et/ou de dépendance affective. Le jeu a été un refuge, une façon de s’anesthésier, et aussi de transposer dans univers plus neutre ses conflits inconscients.
Réflexions générales :
La problématique adolescente est sous jacente à chacune de ces prises en charge mise à part pour les cas avec antécédents psychiatriques. Les jeux vidéos et les mondes parallèles qu’ils offrent, apparaissent comme de nouveaux médiums à la socialisation de jeunes en mal de reconnaissance et dont la principale difficulté est l’insertion dans le système de la société actuelle ; celle-ci leur apparaît souvent étrange, « flippante », semées d’embûches insurmontables. Chaque nouvelle difficulté rencontrée dans la réalité peut être une nouvelle raison pour préférer le monde virtuel, un arrangement qui réponde à leur désir d’adaptation psychologique dans une mouvance sociale qui les largue. Si la plupart des jeunes joueurs ne sont pas encore dans une démarche de demande d’aide, c’est certainement parce qu’ils ne se sentent pas en difficulté : celle-ci existe dans la réalité et non dans le virtuel.
La difficulté majeure sous jacente : au coeur de leurs préoccupations, établir des relations acceptables avec soi et les autres, construire une intimité… Le sujet des entretiens s’oriente rapidement sur leurs difficultés sur le plan affectif : « comment former un couple » est certainement l’une des questions qui les préoccupe le plus. Face à cette interrogation, ils se sentent démunis ; la plupart adopte des stratégies d’évitement de l’autre sexe, d’autres s’engagent dans des relations dans lesquelles ils établissent des liens fusionnels et destructifs. Souvent, ils ont vécu une forte déception amoureuse quelques années auparavant qui les aura beaucoup marqués. Pour ces jeunes, l’expérience amoureuse est par excellence une situation à « hauts risques », où la rencontre avec l’autre est à la fois source d’angoisses et de déception au vu de leurs attentes et de leurs désirs.
Le jeu : une porte ouverte vers le soin. Sans pour autant dramatiser, « pathologiser » des conduites, qui, au cours de l’adolescence peuvent constituer des « appels » ou des demandes très fortes de reconnaissance, un accompagnement peut former un appui non négligeable, moins dans l’idée de mettre fin à un comportement émergent et susceptible ou non de s’accentuer, que, dans ce temps délicat et difficile de l’adolescence, d’offrir un lieu, un espace et une écoute accessible. Il est notable que parmi les joueurs de jeux vidéos, nombreux sont ceux qui souffrent d’une forme de phobie sociale : avoir un contact et savoir qu’on peut les aider et ce, dans d’autres domaines de dépendance que ce qui les a amenés à consulter, permettra certainement une re-mobilisation ultérieure plus aisée.
Jeu vidéo et Internet : une nouvelle forme d’addiction chez les jeunes
Les familles et principalement les parents – les conjointes étant peu nombreuses encore à consulter – ont commencé à venir nous exposer des problèmes de jeu vidéo fin d’année 2001 et ces demandes n’ont cessé de croître depuis : 9% de la file active en 2002, 25 % en 2003, 29 % en 2004, 36 % en 2005 (soit environ 60 familles).
En 2001, 2002, c’était très fréquemment après avoir entendu parler de ce sujet dans les médias et pensé que ce qui se passait chez eux ressemblait à ce qu’ils avaient entendu, que les parents venaient nous voir.
Assez souvent, quelques heures par jour passées devant l’écran suffisait à les affoler et pratiquement aucun ne pensait aux aspects positifs que le jeu en réseau pouvait présenter pour leur enfant.
Mais il existait quelques cas où les parents n’avaient pas vu qu’une dépendance s’installait. Leur enfant s’intéressait à l’informatique, ils trouvaient cet intérêt de bonne augure ou bien l’usage n’était pas exclusif donc pas préoccupant à leurs yeux.
C’est au moment où les résultats scolaires chutaient, où l’absentéisme s’accentuait au point de conduire parfois à une rupture de la scolarisation, où le rythme entre le jour et la nuit s’inversait, où l’alimentation et le sommeil se dégradaient, où la participation à la vie familiale et sociale s’étiolait voire disparaissait totalement, qu’ils cherchaient à consulter.
Il pouvait s’écouler plusieurs années avant qu’ils ne consultent spécifiquement pour ce problème, période marquée par des tentatives de négociation qui échouaient et épuisaient tant les parents que les enfants.
Cliniquement, nous observions schématiquement 3 types de situations :
– Un premier type où l’usage abusif ancien ou récent de jeunes ados dans la tranche des 14, 15, 16 ans, s’inscrivait dans un contexte de séparation parentale, avec conflits entre l’enfant et la mère, pouvant prendre un aspect de violence verbale ou physique de la part de l’enfant, le père restant dans la coupure, dans l’absence.
Il n’était pas rare que l’usage s’accompagne de troubles autres, somatiques ou psychosomatiques.
Dans ce cas, nous songions plutôt à une consultation spécialisée pour l’adolescent ou à des entretiens de thérapie familiale.
– Un deuxième type où l’usage abusif sur plusieurs années du jeune, dans la tranche des 18-20 ans, s’inscrivait encore dans un contexte de séparation, de divorce parental, avec interruption de la relation entre le garçon et son père.
Lorsque la prise en charge des parents permettait une réorganisation familiale, plus précisément une reprise des relations entre le père et le jeune, on constatait que la dépendance, s’estompait et qu’il était capable de resonger à des projets, notamment de reprise scolaire. Il s’agissait très souvent pour eux de s’orienter vers des écoles d’arts plastiques, d’infographisme ou d’informatique.
Une variante de ce type était représentée par les familles dans lesquelles les parents vivaient ensemble mais connaissaient des difficultés conjugales ou étaient particulièrement anxieux et avaient des perceptions différentes des difficultés de leur enfant.
Dans ce cas, il s’agissait plutôt d’un travail de réassurance pour les parents, en proposant des rendez-vous de temps en temps pour faire le point et de soutien personnel pour l’enfant.
– Un troisième type où la dépendance s’inscrivait dans un tableau de troubles plus sévères, phobies importantes, troubles psychotiques et là nous pensions plus à une orientation vers des CMP ou des CMPP, en parallèle parfois avec un suivi à Marmottan
Dans tous les cas, un usage abusif ou une dépendance au cannabis associé aux jeux video pouvait rendre une évolution favorable plus difficile à obtenir.
D’autre part, il était assez fréquent que le démarrage du jeu coïncide très exactement avec la survenue d’évènements familiaux douloureux : maladies, accidents, deuils, etc…
Qu’en est-il en 2005/2006 ?
Actuellement une majorité de familles viennent au sujet de garçons qui ne veulent rencontrer personne et dont l’usage ne s’assouplit pas au bout de quelques mois, ce qui arrive heureusement. Mais nous recevons aussi en plus grand nombre des familles dont les enfants sont demandeurs ou acceptent de plus ou moins bon gré une prise en charge à Marmottan.
– Les mères seules sont les plus nombreuses à consulter, suivies des couples parentaux. Il y a un peu plus de parents séparés que vivant ensemble, mais la différence n’est pas significative.
– Ces familles ne présentent pas, dans leur grande majorité, de profils socioéconomiques défavorisés.
– Les enfants joueurs dont ils viennent nous parler sont en gros pour la moitié mineurs/jeunes majeurs (15-21 ans) ; donc 50 % environ de jeunes âgés de plus de 21 ans.
– La majorité des parents consultent 1 à 3 ans après le début de l’usage. De plus en plus nombreux sont ceux qui consultent à titre préventif après seulement quelques mois.
– Quand il y a dépendance, ils ont du mal à estimer le moment où cela a commencé. Ils peuvent le faire quand l’usage dure depuis de nombreuses années, par exemple 9 ans. Là ils peuvent dire que leur enfant est dans une dépendance depuis 8 mois par exemple.
– 50 % des parents peuvent mentionner le nom du jeu ou le type de jeu choisi par leur enfant ; par exemple ils parlent de jeux de tirs ou de jeux de rôles ; donc 50 % disent ne pas avoir cherché à savoir, parce qu’ils n’y connaissent rien ou parce que cela leur insupporte trop. Certains disent également s’être fait rabroués lorsqu’ils ont essayé de savoir.
– En terme de problématique exposée, il faut distinguer ce qui constitue le sujet d’inquiétude voire d’abattement des parents, de leur plainte.
a) En ce qui concerne leur sujet d’inquiétude, il tourne principalement autour de deux points :
– Mauvais résultats scolaires répétitifs, absentéisme pouvant aller jusqu’à l’abandon de la scolarité comme nous l’avons déjà dit et de toute autre activité (loisir, sport), délaissement des relations affectives et sociales habituelles. Pour les plus grands, l’inquiétude concerne l’arrêt du travail.
En cas d’usage intensif, les parents ont le sentiment que leur enfant gâche ou détruit sa vie. L’idée de destruction est omniprésente. Ils relèvent l’absence de projets, une non anticipation du futur.
Certains parents constatent un usage simultané ou alterné de cannabis, s’accompagnant parfois d’amaigrissement ou de boulimie, ce qui noircit encore davantage le tableau à leurs yeux.
L’autre axe de leur inquiétude tourne autour de la mauvaise influence, du mauvais exemple donnés aux frères et sœurs plus jeunes et ils peuvent se sentir tiraillés entre le mal être qu’ils perçoivent chez le joueur et l’attention qu’ils doivent porter à leurs autres enfants.
b) En terme de plainte, lorsqu’ils estiment qu’il y a dépendance, ils sont assez nombreux à ne plus supporter d’avoir leur enfant à la maison, du fait qu’il n’est plus du tout dans les rythmes familiaux, qu’il est devenu impossible de l’extirper des jeux sans rentrer dans des conflits de plus en plus aigus.
Ces conflits sont illustrés, par exemple, par le fait que lorsque les parents optent pour une interruption d’internet ou pour une coupure radicale, les enfants peuvent trouver une compensation en jouant non stop sur des games-boys, en ne quittant pas la télévision ou en allant jouer à l’extérieur, chez des copains ou des salles en réseau ou en s’alcoolisant ou en fumant du cannabis. Lorsqu’il y a poursuite du jeu chez des copains accrochés eux aussi, il leur faut alors trouver une gestion commune avec les parents de ces copains, ce qui n’est pas simple.
Dans certains cas, les parents découvrent que l’enfant leur vole de l’argent pour pouvoir continuer à jouer, qu’il leur a subtilisé leurs cartes de crédit.
D’autres se voient menacés par leurs adolescents d’une disparition définitive de la maison, de tentatives de suicide.
Parfois, ils sont confrontés, quand il s’agit de majeurs, à des épisodes de violence envers les objets ou envers eux-mêmes.
Lorsque les mères séparées du père tentent de refaire leur vie, il est assez fréquent qu’elles se sentent dans la situation impossible de devoir choisir entre une vie avec leur enfant dépendant ou une vie de couple avec leur nouveau partenaire.
Certains parents font alors le choix de placer leur enfant en internat lorsqu’ils sont élèves ou étudiants ou de les loger en dehors de la maison lorsqu’ils sont majeurs en assumant financièrement les charges ; à la fois pour se protéger des conflits et pour les obliger à s’investir autrement, c’est-à-dire à étudier ou à travailler. Mais ils constatent avec amertume que le jeune s’enfonce généralement encore davantage dans le jeu, qu’il ne se nourrit plus, qu’il manque d’hygiène personnelle, que son logement parfois se transforme en taudis.
Les parents cherchent toujours à comprendre ce qui a pu amener leur enfant à la dépendance. C’est dans ce but qu’ils se penchent sur l’histoire de l’enfant et de la famille, sur l’éducation qu’ils ont apportée à propos de laquelle il recherche leurs « erreurs ».
De ces récits il ressort une grande variété dans les difficultés rencontrées. Nous ne décelons aucune situation type.
Certains parents font état de difficultés scolaires de toutes sortes dans le primaire, au collège. D’autres, par contre, se demandent comment leur enfant qui a suivi une scolarité brillante et mené des études supérieures peut tout cesser brutalement un jour à 23, 24, 25 ans, pour jouer non stop pendant des mois et des années.
Certains sont effarés d’entendre le jeune dire qu’il ne veut absolument pas s’insérer dans la société et de constater qu’il ne le fait effectivement pas pendant des années.
Il est assez fréquent qu’ils fassent un lien entre une déception amoureuse chez leur enfant et le début d’un usage qui devient une dépendance.
Les parents perçoivent très souvent leur enfant comme étant introverti, ayant peu confiance en lui. Plus rarement, d’autres les décrivent comme ouverts, exubérants voire nerveux depuis longtemps puis subitement renfermés.
Les mères mettent souvent en avant un manque de relation chaleureuse entre le père et l’enfant due à une absence du père de la vie familiale ou à une non communication ; des difficultés conjugales anciennes ou concomitantes de la période de jeu, des divergences d’appréciation des difficultés de l’enfant aboutissant à des conflits.
Quelquefois, elles reprochent à leurs maris d’avoir beaucoup joué eux-mêmes aux jeux video, d’avoir initié et entretenu leurs fils dans ce type de jeux, créant une complicité entre eux à leur détriment.
Il apparaît quelquefois que l’enfant présente des troubles de la personnalité non pris en compte par la famille pour qui l’idée de troubles psychiques est insupportable ; ou qu’il a interrompu son traitement depuis longtemps, mais la famille souhaite qu’il vienne consulter avant tout pour son usage de jeu video.
En ce qui les concerne, les parents font parfois états d’épisodes dépressifs, d’épisodes d’alcoolisation, de tentatives de suicide, antérieurs à l’usage du jeu ;
Certains disent être suivis depuis longtemps pour des troubles tels que une dépression maniaco-dépressive ou une schizophrénie.
D’autres rapportent des périodes de vie professionnelle particulièrement difficiles.
Dans d’autres cas, ils révèlent que l’atmosphère familiale a été imprégnée en permanence de violence.
Tricoter et détricoter l’histoire familiale, telle que les parents la vive peut faire partie bien entendu de l’objet de nos rencontres mais une grande proportion demande une aide qui tienne compte de leur situation concrète au jour le jour.
Cette aide que nous allons tenter de leur apporter, tant pour leur enfant que pour eux-mêmes, dépend naturellement du niveau de gravité que l’on perçoit dans la problématique de l’enfant et du niveau de détresse que l‘on perçoit chez eux.
Cela peut aller de la simple réassurance, en leur faisant valoir notamment ce que les jeux video peuvent apporter de positif à leur enfant, en passant par des réflexions sur les risques que peut comporter une suppression radicale d’internet chez un enfant lourdement déprimé, jusqu’à des conseils autour de la gestion budgétaire de la vie de l’enfant lorsqu’il utilise manifestement l’aide financière de ses parents pour payer son jeu et le cannabis ou autour de leur cohabitation avec lui, quand la vie familiale trop conflictuelle engendre une souffrance importante chez les uns et les autres.