La création et le développement du Centre Médical Marmottan constituèrent, au fil des années 1970, le symbole de la redécouverte par la médecine et la société des problèmes de toxicomanie en France.
Le centre fut créé en juillet 1971 alors qu’un mouvement dans l’opinion publique s’était ému de décès par overdose chez de jeunes gens. Le vote de la loi de 1970 posant les bases du droit pour le toxicomane à se faire soigner de façon volontaire, anonyme et gratuite, était encore récent. Le gouvernement, dans ce contexte, confia au Docteur Claude Olievenstein la charge de créer un « centre expérimental d’orientation et de soins pour toxicomanes » (en fait, un simple service au cœur de Paris, dépendant administrativement de l’hôpital psychiatrique de Perray-Vaucluse). Ce psychiatre influencé par l’antipsychiatrie avait commencé à travailler auprès de toxicomanes en hôpital psychiatrique. Face à ce qui apparaissait alors comme un phénomène nouveau, il n’existait pas de réponses préétablies et le centre fut d’abord conçu comme une interface entre le « monde de la drogue », de la marge, et la société. En cela, Marmottan constitua d’abord un lieu d’accueil inconditionnel, dans lequel les « clients » aidaient les thérapeutes à élaborer des réponses.
A travers ce dialogue, s’est instituée une stratégie d’accompagnement au long cours, basé sur une relation thérapeutique intersubjective, et structurée par un contrat tacite ou explicite, qui lie les clients à l’institution. Les soignants s’engagent à respecter le volontariat et l’anonymat, les clients s’engagent quant à eux à ne pas faire usage de drogue à l’intérieur de l’établissement, ni de violence, que ce soit contre autrui ou contre soi-même.
Le but de ce suivi n’est pas particulièrement l’abstinence, mais l’apprentissage de la « démocratie psychique » : la faculté de faire des choix libres et, surtout, de ne pas remplacer la dépendance à un produit par la dépendance à une institution ou à un personnage charismatique. Pour atteindre cet objectif et accompagner les toxicomanes dans leur trajectoire, ont été créés successivement des centres d’hébergement, d’urgence, des centres de post-cure, des familles d’accueil, des appartements thérapeutiques. Une chaîne thérapeutique s’est constituée au-delà de l’établissement, où chaque institution a une personnalité différente mais participe de la même éthique. « Marmottan » est donc devenu une pièce parmi d’autres de ce qui peut être appelé le « modèle de soins français » en toxicomanie.
Les principes de fonctionnement du centre ont longtemps constitué la référence des centres de soins spécialisés en France. L’accueil, inconditionnel et sans a priori (les accueillants sont pour la plupart d’anciens toxicomanes), proposant des prestations de service ponctuelles, constitue la base essentielle de la relation thérapeutique.
L’hospitalisation offre aux clients un espace et un temps pour se sevrer, traverser une période de crise, ou pour faire une pause dans leur parcours. Ainsi se dégage un style d’accompagnement « à la française » tendant (par le recours à une personnalisation de la relation, à travers la figure du « thérapeute référent ») vers une forme de psychothérapie. La notoriété de l’établissement, et surtout de son médecin-chef, devait logiquement entraîner des critiques d’ordre divers.
Initialement certains psychiatres contestèrent l’utilité de lieux spécialisés, les toxicomanes devant, selon eux, être pris en charge dans le dispositif général. Plus tard, certains thérapeutes contestèrent le caractère peu orthodoxe des prises en charge. Le social, la psychopharmacologie (les médicaments tiennent une place non négligeable dans la prise en charge du toxicomane) éloignent en effet ce suivi de la cure de type analytique.
Pour certains sociologues (R. Guerrieri et Patrice Pinel par exemple), la toxicomanie n’étant qu’une construction sociale à visée de stigmatisation et de disqualification, l’institution ne peut que participer au « système » (mais ce serait bien sûr le cas de toute institution spécialisée, dont la fonction peut toujours être lue comme la production de ce qu’elle est censée combattre, ici la toxicomanie…)
A la fin des années 1980, avec l’importance de l’épidémie de SIDA et la promotion d’approches pragmatiques regroupées sous le terme de « réduction des risques », c’est le monopole du discours clinique en matière de toxicomanie qui fut remis en question.
Bien avant 1987 et la mise en vente libre de seringues, Claude Olievenstein et Marmottan se sont mobilisés pour l’accès au matériel d’injection. En 1991 s’est mis en place dans le centre une consultation gratuite et anonyme de médecine générale, avec dépistage du VIH et mise à disposition de seringues et de préservatifs. Mais Marmottan garde son image de lieu de « décroche », de sevrage, de soin de la toxicomanie et reste objet de controverse. Il est devenu l’une des cibles favorites des partisans du modèle hollandais, contre l’absence de politique de la France.
Trente ans après mai 1968, Marmottan reste donc sans doute l’une des institutions alternatives les plus vivantes. Par son expérience clinique (plus de 40000 toxicomanes ont consulté le centre depuis sa création) et la spécificité de son approche, Marmottan est en fait devenu un lieu de référence, sollicité pour des formations et des recherches, où de nombreux professionnels de tous les pays viennent chaque année en stage. C’est de cette demande qu’est née en 1984 la Société d’Enseignement et de Recherche sur la Toxicomanie.
En 1987, la bibliothèque du centre est devenue l’un des pôles du réseau national de documentation sur les pharmacodépendances (Toxibase), lui-même participant au Réseau Européen d’Information sur les Toxicomanies (Reitox), outil documentaire de l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT).
Les relations internationales de Marmottan ne se limitent pas à des échanges de documentation ou de collaboration à des projets de recherche : il s’agit aussi d’une véritable collaboration clinique. En effet de nombreux professionnels de pays étrangers viennent effectuer des stages et des responsables politiques ou administratifs y rencontrent l’équipe avant de mettre en place des projets de soins ou/et de prévention dans leur pays. Des liens privilégiés existent avec le Brésil où la majorité des centres de référence pour toxicomanes ont été créés par d’anciens stagiaires de Marmottan, et l’Italie où un centre de post-cure est supervisé par Claude Olievenstein. Enfin, l’équipe de Marmottan est souvent sollicitée pour intervenir lors de congrès internationaux comme ceux de l’ERIT (Fédération des Associations Européennes d’Intervenants en Toxicomanie).
En 2000, le fondateur de Marmottan a pris sa retraite, Marc Valleur lui a succédé. L’institution reprend son statut expérimental tant au niveau des réponses thérapeutiques que des patients accueillis : elle prend en charge d’autres dépendances (jeux d’argent, jeux vidéo, internet, dopage, troubles des conduites alimentaires) et une nouvelle population de jeunes pour lesquels l’usage de cannabis est devenu problématique. Par ailleurs, les « guerres de la substitution » ont permis de mieux repenser les liens entre chimiothérapie et psychothérapie, comme entre traitements d’équilibre (abstinence, substitution) et traitements d’expérience (sevrage, post-cures,…). Un pôle de délivrance quotidienne permet par exemple de délivrer des traitements au jour le jour – y compris le Subutex et la Méthadone- à des patients pour lesquels cette prise est difficilement gérable.
Extrait du Dictionnaire des drogues et des dépendances. Ouvrage dirigé par Denis Richard, Jean-Louis Senon et Marc Valleur. Larousse, 2004