Définir l’addiction : questions épistémologiques, conséquences politiques

Par Marc Valleur

Télécharger l’article en PDF

L’intérêt croissant pour les addictions sans drogues, dont le jeu pathologique est la plus reconnue, est à l’origine de débats passionnés : « L’addiction aux jeux en réseau sur Internet existe-t-elle ? », « Le jeu pathologique est-il une vraie addiction ? » sont par exemple deux questions qui peinent à trouver une réponse consensuelle parmi les spécialistes concernés. De nouvelles catégories d’acteurs, de nouveaux experts sont concernés pour chaque « nouvelle » addiction : dans le cas d’Internet, les divers spécialistes des technologies de l’information et de la communication, dans le cas des jeux en réseau, les concepteurs, les entrepreneurs, mais aussi des spécialistes de l’enfance et de l’adolescence, et, dans tous les cas, comme pour le jeu d’argent, les sociologues et anthropologues qui ont étudié la pratique en cause.

Deux grands courants semblent se dessiner : d’un côté, une distinction ferme entre de « vraies » addictions, représentées par l’alcoolisme, les toxicomanies, le tabagisme, et de « fausses » addictions, dont les addictions sans drogues. De l’autre, une prise en compte des addictions au sens large, incluant les addictions sans drogues ou « comportementales », les « addictions avec drogues » devenant une catégorie particulière de ce groupement plus vaste. Toutes ces discussions tendent, de fait, à raviver des questions fort anciennes sur la nature des addictions dans leur ensemble, ainsi que les diverses critiques de « l’addiction-maladie ».

Que les différents champs qui constituent aujourd’hui la vaste constellation des addictions aient, depuis toujours, été problématiques est une évidence : alcool, drogues, sexe, jeu, nourriture, ont depuis la nuit des temps fait l’objet de régulations, de contrôles, d’interdits et de prescriptions. Historiquement, toutes ces mesures ont été, successivement, d’ordre religieux, puis moral, et la médecine d’aujourd’hui, au niveau clinique comme au niveau de la santé publique constitue en quelque sorte le relais de ce cadre religieux et moral. L’addiction-maladie relève donc d’une évolution du regard, tendant progressivement à une « naturalisation », voire une « réification » de vastes problèmes de société, spécifiquement humains, qui sont par cette opération repliés sur le corps, par exemple sous la forme d’un dysfonctionnement cérébral.

On a pu, de façon très symbolique, dater la naissance de cette addiction-maladie à 1784 avec le travail de Benjamin Rush (« An Inquiry into the effects of ardent spirits upon the human body and mind », voir Valleur, 2006). Son texte est une parfaite illustration du lien entre la naturalisation à visée scientifique et, déjà, le souci de « déstigmatiser » l’ivrognerie. Les mots d’ordre actuels, « l’alcoolisme est une maladie comme les autres », ou « l’addiction est une maladie chronique du cerveau », relaient en quelque sorte ce mouvement inaugural.

Un travail entrepris avec Louise Nadeau, professeur de psychologie à l’université de Montréal, autour de la traduction par Jean François Cottier, professeur de latin médiéval, du livre de Paquier Joostens ou Pascasius Justus, alea sive de curanda in ludendi pecuniam cupiditate (du hasard, ou du traitement de la passion pour l’argent du jeu) de 1561, pourra peut-être moduler cette vision historique, de deux façons :

  • D’une part, en faisant remonter l’addiction-maladie non plus seulement à l’aube de la démocratie et de la modernité, avec Rush, mais aux débuts de l’humanisme, lors de la renaissance.
  • D’autre part, en posant comme addiction première non l’ivrognerie, mais la passion du jeu, donc une de nos actuelles « addictions sans drogue ».

Le caractère immémorial du souci envers les objets d’addiction, comme l’ancienneté supposée – qu’elle remonte à la Renaissance, ou « seulement » à la démocratie – de l’addiction-maladie confèrent à cette entité une densité certaine : il ne s’agit pas uniquement d’une « niche écologique » (I. Hacking) éphémère, produite par notre société post-moderne « d’hyperconsommation ».

Mais cette ancienneté historique n’est toutefois pas une preuve absolue, une garantie d’une « dureté ontologique » de l’addiction, qui en ferait une maladie aussi évidente que la tuberculose ou le diabète : il nous faut bien admettre qu’il n’y a pas eu, en la matière, l’équivalent des découvertes de Koch ou de Claude Bernard. Que Pascasius ait perçu l’addiction presque de la même façon que nous pourrait aussi vouloir dire qu’il a été victime des mêmes illusions : depuis des millénaires, les hommes voient dans le ciel les mêmes constellations qui leur sont des repères familiers. Mais la grande Ourse, en soi, n’est qu’une construction due à un angle de regard particulier, chacune de ses composantes ayant, bien sûr, une existence « réelle », mais leur assemblement en un tout relevant de l’illusion…

La question de la nature des addictions, voire de leur existence, se pose donc toujours de façon très aiguë, malgré toutes les avancées de toutes les nombreuses disciplines concernées. En témoignent deux articles récents de Harold Kalant, pionnier et expert peu contesté de la pharmacologie des addictions : « What neurobiology cannot tell us about addiction », et « Drug classification : science, politics, both, or neither ? ». Le premier article pose des questions épistémologiques, et souligne les tensions entre un abord clinique, descriptif, et un abord scientifique de l’addiction. Le second pose des questions politiques, et pointe les tensions entre abord clinique ou scientifique d’une part, et abord de santé publique de l’autre. Définir l’addiction reste en fait un problème, et bien des querelles sont dues au fait que les interlocuteurs croient parler de la même chose, alors que ce n’est pas le cas.

Il y a de fait au moins trois regards, trois types de discours sur l’addiction : un regard clinique, un regard scientifique, et un regard de santé publique. L’une des raisons de douter de la « réalité », ou de la « dureté ontologique » de l’addiction provient en partie de ce que chacun de ces regards tend vers un objet qui est peut-être différent des deux autres… Il nous faut donc tenter de caractériser le regard clinique, puis le regard scientifique, pour mettre en évidence les tensions qui existent entre ces deux points de vue. Puis de voir la différence, et les difficultés posées par l’existence du regard de santé publique. Il apparaît en effet que la clinique et la recherche sont deux regards différents qui s’adressent à une même addiction, tandis que santé publique et addictologie tentent de cerner un objet différent.

Le regard clinique

La définition de l’addiction, pour un clinicien, peut être à la fois simple et concise : c’est le fait, pour le sujet concerné lui-même, de vouloir réduire ou cesser sa conduite, sans y parvenir. Elle correspond en grande partie à la définition que Pierre Fouquet, pionnier de l’alcoologie en France, donnait de l’alcoolisme : « la perte de la liberté de s’abstenir d’alcool ». Cette définition comporte une part nécessaire de subjectivité : elle désigne le sentiment intime d’aliénation vécu par une personne, le clivage qui s’opère en lui entre la volonté de sobriété et le désir de boire. Elle se heurte à la question du « déni », la négation possible de l’addiction par l’addict lui-même. Cette possibilité a pu conduire à ajouter, dans les définitions officielles, des critères tendant à plus d’objectivité, afin de permettre un « diagnostic » d’addiction, c’est-à-dire au fait de voir la maladie à travers le patient, en dehors de son propre discours. Ces tentatives d’objectivation conduisent à ajouter aux critères de l’addiction un certain nombre d’items, qui sont essentiellement des conséquences, et non des éléments proprement constitutifs de l’addiction : c’est le cas de la dépendance physiologique, de la tolérance, du syndrome de sevrage. (Il n’est pas certain que ces critères entraînent une inclusion plus grande de sujets dans le groupe des addicts : il semble que le critère « tentatives répétées, mais infructueuses, de réduire ou cesser la conduite » soit, à lui seul, assez inclusif.)

Il arrive aussi –par exemple dans certaines définitions de la « cyberaddiction » – que l’on ajoute comme critères le fait que la personne cache sa conduite à son entourage, mente, commette des délits : ces éléments pointent les risques logiques et éthiques de ces critères objectifs : logiquement, si un sujet ment, fait des efforts pour masquer sa conduite, triche, c’est bien qu’il sait, plus ou moins consciemment, que cette conduite existe, et pose problème. Sur le plan éthique, c’est la légitimité de l’intervention thérapeutique qui se trouve posée : la volonté de réduire ou cesser la conduite, sans y parvenir, laisse place à une demande d’aide, et légitime cette intervention. Sinon, il est difficile de justifier un traitement pour quelqu’un qui, même physiquement dépendant, n’aurait pas la moindre envie de remettre en question sa conduite. Tout au plus peut-on alors travailler à faire naître en lui ce désir de changement, conformément aux propositions du « modèle transthéorique du changement » de Prochaska et Di Clemente, ou aux approches de type « motivationnel » (Miller et Rollnick). Mais de fait, la position du clinicien part de son intention thérapeutique, de son engagement dans une pratique qui relève l’art et non de la science. Quelle que soit l’importance des outils, notamment médicamenteux, dont il dispose, le cœur du traitement ne réside jamais dans son aspect « technologique », y compris au niveau des psychothérapies : c’est ce que tendent à démontrer toutes les tentatives d’évaluation comparée des diverses formes de psychothérapies.

La définition opérante de la maladie, en clinique, correspond donc aux considérations de Georges Canguilhem sur le normal et le pathologique : la maladie ne commence pas par quelque dysfonctionnement des processus physiologiques, mais par une demande d’aide du patient en souffrance. Elle ne se définit pas par un nouvel état objectif, par exemple « allostatique », mais par le sentiment du patient qu’il n’est plus le même.

Le regard scientifique

Le clinicien prête donc le flanc à la critique des scientifiques : artiste pris dans l’intersubjectvité de sa relation avec son patient, il n’est guère en mesure de proposer un critère sûr et objectif, permettant de distinguer ce qui est ou non une « vraie » addiction. C’est cette critique qui s’exprime dans le livre « rationality and addiction » de Jon Elster et Ole Jorgen Skoog, qui aborde l’addiction sous l’angle de ce que l’on appelle aujourd’hui la neuroéconomie (Schmidt C). Les auteurs y montrent que l’on peut facilement prendre » pour une vraie homologie – une équivalence ontologique – ce qui en réalité n’est qu’une analogie, une ressemblance superficielle. Ils donnent pour illustration l’exemple des ailerons de baleines, des ailerons de requins, des ailes d’oiseaux et des ailes de chauves-souris. Superficiellement, l’on est tenté de regrouper comme homologues les ailes d’oiseaux et les ailes de chauve-souris, les ailerons de baleine et les ailerons de requins. Or, on sait bien que dans une classification scientifique des animaux – depuis Aristote – la vraie homologie relie les ailerons de baleines aux ailes des chauves-souris, puisqu’il s’agit de deux mammifères, et non de poissons ou d’oiseaux.

Le regard scientifique n’est pas celui d’un pêcheur ou d’un chasseur, et il va s’attacher à découvrir le critère distinctif, objectif, de l’addiction, celui qui pourrait être, inscrit dans le corps, l’équivalent des mamelles des mammifères. Par définition, l’approche scientifique s’oppose au regard clinique, en s’intéressant aux mécanismes vitaux et non à « l’histoire intérieure de vie » (selon une distinction qui remonte à Ludwig Binswanger). De façon légitime, les scientifiques sont donc à la recherche de ce que l’on peut appeler un « facteur X », d’ordre biologique, qui sous tendrait les diverses manifestations de l’addiction.

On a cru trouver ce facteur avec les endorphines et les enképhalines, avec la description des « processus opposants », avec les travaux sur les circuits de la récompense, sur la dopamine. On l’identifie aujourd’hui au découplage des circuits adrénergiques et sérotoninergiques, et, selon certains, à une perte de plasticité cérébrale… Avec H. Kalant, nous pouvons toutefois penser que toutes ces découvertes font progresser la connaissance du fonctionnement cérébral, l’adaptation de l’organisme à quantité de facteurs extérieurs, et ne sont pas spécifiques de l’addiction : le « facteur X » reste, de fait, une inconnue.

Ce qui différencie ce facteur X de l’addiction du clinicien, ce qui en fait l’intérêt, est le fait qu’il appartiendrait à l’ordre des phénomènes objectifs, et donc, selon une importante distinction posée par Ian Hacking, à un « genre indifférent », et non plus à un « genre interactif ». Un genre interactif regroupe des phénomènes humains, éminemment susceptibles d’être modifiés par la façon dont ils sont appréhendés : les discours, même les plus théoriques, sur l’addiction sont ainsi de nature à modifier la vie des « addicts », ainsi que l’image qu’ils se font d’eux-mêmes. La question se pose pour toutes les pathologies psychiatriques, dans lesquelles il apparaît important de déterminer ce qui est pure construction sociale de ce qui est inscrit dans les mécanismes biologiques.

La science vise donc le même objet que la clinique, mais selon une démarche opposée : la clinique part d’une souffrance singulière pour essayer de comprendre ou soulager, la science construit des modèles à partir de facteurs organiques supposés, pour expliquer les mécanismes de l’addiction.

Les tensions entre clinique et science

Les tensions entre approches cliniques et vision scientifique sont donc de nature à condenser des oppositions qui, depuis plus d’un siècle, marquent le champ de la psychiatrie ou celui de la psychopathologie. La guerre du « bio » contre le « psycho », sciences de la vie contre sciences humaines et sociales, peut renvoyer à la distinction entre sciences « dures » et sciences « molles », selon une distinction venue de l’informatique et de l’opposition entre « hardware », matériel, et « software », logiciel. Mais l’on voit bien que cette opposition est sous-tendue par une distinction très ancienne, mais toujours d’actualité, entre « expliquer » et« comprendre », entre une vision objective et une vision subjective du monde, sinon entre le corps et l’âme. Lorsqu’Harold Kalant pointe les limites d’une approche réductionniste, de plus en plus fine, de l’étude des mécanismes cérébraux pour expliquer l’addiction, il démontre qu’à se limiter à cette approche, nous risquons de nous éloigner de plus en plus de la réalité humaine d’une addiction, celle que rencontrent tous les jours les cliniciens. Il en appelle à une prise de recul, et à la mise en œuvre d’approches intégratives, transdisciplinaires, qui puissent prendre acte des apports des sciences humaines et sociales, non seulement les diverses psychologies, mais l’histoire, la sociologie, l’anthropologie…

Sa réflexion est indéniablement fondée, et souligne le besoin impérieux de dépasser les clivages disciplinaires, de plus en plus importants : chaque champ de recherche devient en effet si précis, si spécialisé, si « pointu », qu’il faut imaginer des « méta- disciplines », capables d’intégrer l’ensemble des recherches. Ainsi pourrait-on tendre vers de véritables visions « trivariées », d’ordre « bio-psycho-social ». On ne peut douter de l’intérêt, sinon de l’urgence, d’un tel programme, qui s’approcherait de la complexité d’un phénomène humain et social. Ceci nécessitera bien des efforts pour dépasser les clivages, ainsi que les hiérarchies souvent implicitement supposées entre les diverses « sciences ».

Mais cela pose un problème majeur, dont il est difficile de dire s’il est, à court terme, dépassable : celui de la commensurabilité des diverses approches en jeu. Pris dans sa relation singulière avec un patient, le clinicien se construit souvent, pour lui-même, des modèles compréhensifs ou explicatifs qui empruntent aux données de la biologie, de la sociologie, de la psychologie, etc.… Mais il s’agit d’un « bricolage », qui ne résisterait pas à une critique épistémologique sérieuse : il y entre des données issues de domaines très différents, les unes relevant de la science, les autres d’approches « de sens », qui ne sont pas scientifiques au sens habituel du terme. Et cette opposition entre approches scientifiques et approches de sens touche à ce qui est notre épistémologie de base, celle qui nous permet d’ordonner les différents existants de ce monde.

Rappelons par exemple que l’anthropologue Philippe Descola définit notre monde occidental actuel comme « naturaliste » : ce que contient notre ontologie de base est le fait que tous les existants – tous les êtres, quels qu’ils soient – ont la même physicalité, mais une intériorité différente, et singulière à chacun. Nous admettons ainsi facilement être constitués des mêmes atomes et molécules que tous les autres animaux, et même d’objets, mais nous sommes par ailleurs certains que notre esprit diffère de celui d’une araignée ou d’une chaise. Ce peut être différent dans d’autres cultures, mais ainsi en est-il dans la nôtre… Or la science est ce qui s’adresse au monde de la physicalité, et les disciplines qui tentent de rendre compte de l’intériorité – qu’il s’agisse de branches de la philosophie (phénoménologie, herméneutique…), de psychologies subjectives, de littérature, etc., ne sont pas assimilables dans la science. Alors que les vieux dualismes âme/corps, hérités de Pythagore et Platon, tendent à être dépassés dans les discours philosophiques, nous en sommes encore réduits, au quotidien, à mettre en œuvre ce que l’on peut appeler un « dualisme méthodologique » : les modèles implicites que se construit un clinicien mélangent des éléments « de sens », de compréhension de l’histoire singulière du patient, et des données issues de la science, qui orientent par exemple les choix médicamenteux. La proposition d’approches synthétiques larges et transdisciplinaires va donc se heurter au problème difficile de la non-commensurabilité des deux types d’approche, scientifique d’un côté, approches de sens de l’autre : c’est-à-dire au fait que les critères de validité des unes ne peuvent servir à juger les autres.

Le regard de santé publique

La dimension de santé publique est celle qui donne aux addictions toute leur importance au niveau politique : les milliers de morts prématurées dues à l’alcool, au tabac, aux drogues, au jeu, sont les premières raisons pour lesquelles les addictions sont prises au sérieux par les pouvoirs publics. Or ce regard s’adresse à un objet qui n’est manifestement pas le même que l’addiction du clinicien ou celle du chercheur. Il suffit d’une ivresse unique pour qu’un jeune se tue au volant, il suffit d’une expérience d’injection pour contracter le sida ou l’hépatite C, il suffit de « déraper » quelques semaines dans le jeu pour être surendetté à vie : la majorité des problèmes posés à la société ne relève pas de l’addiction clinique au sens propre. L’objet du regard est donc ici bien plus vaste, incluant tout ce qui est regroupé sous les termes d’abus ou d’usage nocif. Bien des malentendus ou de faux consensus autour du terme « addiction » proviennent de la confusion entre la définition clinique et la définition de santé publique…

Et l’addiction, en tant qu’objet de l’addictologie constitue un objet encore plus vaste, puisqu’il va intégrer toutes les formes d’usage, au-delà de l’addiction, de l’abus, ou de l’usage nocif. Si Pierre Fouquet définissait l’alcoolisme comme « perte de la liberté de s’abstenir », il définissait par contre l’alcoologie comme « l’étude de l’ensemble des relations entre les êtres humains et l’alcool ». Cette approche n’est pas inutile : si l’on veut peser les répercussions sociales d’une pratique, il faut définir les coûts en termes de maladie, mais aussi d’accidents, de conséquences de l’usage. Mais il faut aussi tenir compte, le cas échéant, des bénéfices de cette pratique pour la société comme pour les individus.

Nous en venons donc à un schéma qui peut montrer les différents objets regroupés sous le terme d’addiction :

schema1

Quel que soit l’objet d’addiction, il va le plus souvent exister une partie de la population qui est concernée, et une qui ne l’est pas. Dans le cas des drogues illicites, la partie des consommateurs est minoritaire. Pour l’héroïne, le triangle des consommateurs, même les simples expérimentateurs, serait très fin : de l’ordre de 1% de la population en France. Elle peut être au contraire majoritaire dans le cas de conduites licites, comme l’alcool ou le jeu : dans ce dernier cas, près de 50% de la population adulte est concernée.

schema 2

 

Parmi les expérimentateurs, ou d’une façon générale les consommateurs, la grande majorité n’a pas ou peu de problèmes : contrairement à une représentation très répandue sur « la drogue », ceci est vrai même pour les drogues les plus « dures », et les plus interdites. L’étude NESARC nord-américaine par exemple démontre qu’une petite partie seulement des expérimentateurs d’héroïne ou de cocaïne devient des utilisateurs réguliers, et, parmi eux, une partie seulement devient dépendante.

La partie « malade », celle qui regroupe les patients potentiels des services d’addictologie, est donc toujours très limitée, par rapport à l’ensemble des usagers. C’est à juste titre qu’un sociologue comme Howard Becker proteste contre la tendance à assimiler tous les consommateurs à des dépendants, par exemple en recourant au terme de « drogués » pour désigner tous les utilisateurs de marijuana. Il est illogique –mais c’est très souvent fait – d’utiliser, en matière de drogues illicites, comme indicateur principal, le chiffre d’expérimentateurs, alors que dans le même temps, pour les produits licites, l’indicateur le plus fréquent est le nombre de dépendants, d’ « addicts », de « malades » : ceci conduit à une dramatisation artificielle des problèmes de « drogue », et à une banalisation tout aussi artificielle des problèmes liés aux médicaments, à l’alcool, au jeu, aux aliments…

Mais il faut aussi souligner que, pour la santé publique, les « problèmes » pèsent plus lourdement que la « maladie » : Comme nous l’avons souligné plus haut, il suffit d’une ivresse au volant pour qu’un jeune homme se tue avec ses amis, sans jamais avoir été « alcoolique » ou « drogué », et les conséquences des « abus » ou des « excès » ponctuels pèsent très lourd, pour toutes les addictions. . L’abus ou l’usage nocif sont donc très lourds de conséquences, en termes de santé publique ou de coûts sociaux. C’est donc à juste titre, pour de bonnes raisons, que la définition de l’addiction en santé publique vise un objet différent de l’addiction clinique.

schema 3

Il est aisé de voir que le terme « addiction » renvoie, de fait, à plusieurs objets très différents.

La clinique et la recherche scientifique sont certes deux regards différents, qui visent un même objet : c’est la part « malade » des consommateurs qui, d’ailleurs, est souvent porteuse de plusieurs addictions en même temps ou successivement.

Mais la santé publique y ajoute tous les dommages possiblement liés à l’usage, ce qui construit une addiction d’un autre ordre. Et l’addiction, comme objet de l’addictologie constitue encore une troisième entité, différente des deux autres, qu’elle englobe. (Nous avons vu que Pierre Fouquet définissait l’alcoolisme comme « la perte de la liberté de s’abstenir ». Mais qu’il définissait l’alcoologie comme « l’étude de l’ensemble des liens entre les êtres humains et l’alcool »). Ceci doit inclure les études sur les usages « normaux », « aproblématiques », qui sont plus la règle que l’exception, pour toutes les addictions. Il faut en effet, si l’on veut légiférer ou réguler, prendre en compte les aspects positifs, et mettre les risques en balance avec les bénéfices éventuels d’une consommation ou d’une conduite.

Ce schéma nous permet d’illustrer les différents abords politiques existants en matière de contrôle de l’addiction :

 schema 4

Une question politique

La prohibition tend à limiter l’usage au niveau de l’ensemble de la population. Elle est une réponse évidente, lorsque l’on se réfère à un modèle « monovarié » de maladie, dans lequel tout le potentiel de maladie est concentré dans la substance. Ce modèle fut l’un des premiers à faire entrer les addictions dans le champ médical, au moins depuis le travail de benjamin Rush en 1784. Le travail de Ledermannet sa fameuse « loi » vont dans le même sens : si l’on peut prouver que plus il y a de consommateurs, plus il y a de problèmes et de malades, il devient logique de prendre des mesures pour limiter le nombre de ces consommateurs. La mise en avant d’un « facteur d’exposition aux drogues », (qui fut, de façon pseudo-scientifique, mis en « équations » par Niels Bejerot) ou les travaux montrant l’importance de l’accessibilité d’un objet d’addiction vont aussi dans ce sens. L’interdit, les règlementations strictes, sont donc, logiquement, la première mesure préventive pour nombre d’addictions. Le danger de la recherche du risque zéro, allant jusqu’à la volonté d’éradication totale des « drogues » est évident, pouvant conduire à la criminalisation du simple usage personnel, ce qui est régulièrement souligné par les antiprohibitionnistes.

On en arrive assez rapidement au constat qu’il existe dans la population au moins une petite partie « d’irréductibles », qui transgressent l’interdit. Augmenter sans fin les peines encourues et persécuter les usagers finit par peser sur l’ensemble de la population, et discrédite l’ensemble de l’entreprise. C’est ce que l’on peut retenir de l’exemple radical que fut la politique iranienne en matière de drogues après la révolution islamique. L’interdiction de l’usage d’opium (pourtant longtemps traditionnel dans certains milieux) et d’héroïne alla jusqu’à l’application en grand nombre de la peine de mort pour les usagers. De longues années, et des milliers de morts plus tard, l’Iran se retrouva avec un taux record d’héroïnomanes : le remède avait été pire que le mal. La prohibition « modérée », et modulée par le grand cadre de la réduction des dommages, ainsi que par un réseau de soin de qualité, peut, au contraire, conduire à des résultats appréciables. C’est sans doute le cas de l’héroïnomanie en France : les dépendants à l’héroïne sont aujourd’hui si minoritaires qu’ils n’apparaissent guère dans les enquêtes en population générale. Les simples expérimentateurs sont de l’ordre de 1% de la population. Et la vie quotidienne des dépendants est grandement améliorée par les dispositifs de réduction des risques, ainsi que par l’accès assez facile à des traitements de substitution.

Si l’on voulait dresser un bilan de 40 années de prohibition en France, ces éléments devraient être pris en compte, mais aussi le fait que le cannabis, lui, constitue un problème totalement différent : les expérimentateurs sont très nombreux (plus de 12 millions), les dépendants peu nombreux, et la loi paraît ici totalement inadaptée : Il est irréaliste de maintenir une peine d’un an de prison pour usage simple, et absurde de soutenir une peine de 2 ans d’emprisonnement dans le cas de la conduite automobile. Cette opposition des résultats entre héroïne et cannabis devrait nous pousser à réfléchir à l’ensemble des mesures prises pour lutter contre les addictions : si tous les produits ne présentent pas la même dangerosité, s’ils ne peuvent être tous traités de la même façon, il convient, au cas par cas, de voir où situer le curseur entre prohibition et libéralisme. Le cas des produits légaux, comme l’alcool et le tabac, mais surtout le cas du jeu d’argent et de hasard, qui, en 2010, a fait l’objet d’une légalisation et d’une libéralisation partielle, peuvent servir d’exemples de régulations non prohibitionnistes. La régulation de l’usage de tabac, qui cause de 65000 morts par an, et celle de l’alcool, cause de 45000 décès, peuvent difficilement passer pour des modèles de santé publique. Mais ils démontrent la complexité des facteurs à prendre en compte, y compris l’histoire et la culture des consommations.

La loi de libéralisation des jeux d’argent en ligne pourrait constituer un modèle alternatif intéressant. Elle se situe presque à l’opposé des prohibitions, sans toutefois être complètement libérale (au sens économique et français du terme).

schema 5

Un exemple de modèle libéral serait ce que certains spécialistes du jeu (Shaffer et Ladouceur) ont nommé le « modèle de Reno » : Il s’agit, selon une logique de « pollueur-payeur », de prélever sur les revenus du jeu les moyens nécessaires au traitement des différents problèmes. Grâce à un tel prélèvement, des actions peuvent être menées à tous les niveaux utiles :

  • Une information claire de l’ensemble des consommateurs, sur ce que l’on peut ou non attendre des jeux d’argent.
  • Des actions prévention destinées à protéger les publics les plus vulnérables, notamment les jeunes.
  • Des actions ciblées sur les joueurs qui montrent des signes de risque de perte de contrôle, notamment à travers la mise en place de modérateurs, la possibilité de limiter ses enjeux, de paramétrer ses dépenses…
  • Des actions de soin, qui ont ainsi une source de financement.
  • Des recherches, tant sur les mécanismes du jeu excessif, que sur l’addictivité différentielle des jeux, etc…

Les dangers d’un libéralisme absolu sont au moins aussi évidents que ceux de la prohibition la plus dure : il suffit, pour s’en convaincre, de regarder l’effet des substances psychoactives dont l’usage est largement toléré, sinon encouragé : l’alcool est, en France, la cause de 45 000 morts par an, le tabac de 65 000.

Le premier inconvénient du « modèle de Reno » serait de s’en remettre purement et simplement à la bonne volonté des opérateurs, selon une optique de « développement durable », prônée par certains auteurs. Ces derniers soulignent par exemple que les industries de l’agro alimentaire sont les premiers contributeurs aux recherches sur l’obésité, et qu’elles sont parfois plus réactives que les états dans la lutte contre ce qui apparaît, dans les pays riches, comme un nouveau fléau. Or il est évident que cette position serait, en l’absence d’arbitre extérieur, celle d’un conflit d’intérêt permanent : Les laboratoires pharmaceutiques, dont l’objet est de produire des produits de santé, doivent eux-mêmes être contrôlés de près, et les scandales en la matière ne manquent pas. Il n’y a guère de raisons pour que des industries qui n’ont pas un tel souci des maladies et de la santé publique soient beaucoup plus vertueuses. L’argument souvent mis en avant par les producteurs d’alcool, selon lequel ils préfèrent que toute la population consomme modérément, et qu’ils se doivent, ne serait-ce que pour des raisons d’image, de lutter contre l’alcoolisme, est très discuté : pour l’alcool comme pour le jeu, une petite partie, – 10 à 20 % – des consommateurs, est à l’origine de la majorité des revenus des producteurs et des opérateurs. Ce sont donc les consommateurs les plus intensifs qui génèrent le plus de profit, et non les « dégustateurs » occasionnels, ou les gourmets les plus modérés. Et dire simplement qu’un client-consommateur est plus utile au producteur vivant que mort est évidemment vrai, mais autant pour le producteur d’héroïne ou de crack que pour les industriels respectables. L’exemple de l’alcool démontre d’ailleurs très régulièrement qu’il existe une franche opposition entre les stratégies du marketing et les visées de prévention et de santé publique : « Premix » et bières fortes visent une clientèle de jeunes gens que les acteurs de prévention voudraient voir à l’abri de ces tentations ; Les slogans publicitaires détournent et tournent en dérision d’anciens messages préventifs : « c’est trop fort pour toi », « ne commencez jamais »… Autant d’appels à l’indiscipline, au défi, au goût pour la transgression et l’épreuve ordalique des adolescents et des jeunes adultes, tendant à rabattre leur aspiration de liberté sur le simple pouvoir de consommer…

schema 6

 Le deuxième inconvénient est le risque d’une augmentation sans frein de l’offre : légitimés par leur implication dans la prévention, la recherche, et le soin, les différents opérateurs ne se voient plus opposer de limites, la consommation apparaissant de plus en plus comme une norme. On peut ainsi aboutir à une consommation généralisée, qui deviendrait une nouvelle norme sociale, faisant disparaître, quant aux pathologies et aux problèmes de santé publique, le facteur général de la consommation.

Une fois toute la population entrée dans le groupe des consommateurs, nous arriverions à l’exemple donné par l’épidémiologiste Geoffrey. Rose pour illustrer son « prevention paradox » : si tout le monde fumait 40 cigarettes par jour, le cancer du poumon ne serait plus perçu que comme une maladie génétique….

schema 7

 

Ce « prevention paradox » démontre la difficulté à associer deux façons différentes de chercher les causes d’une maladie : il existe une approche de « cas à risques », conforme à la clinique, qui consiste à isoler les raisons pour lesquelles un individu donné a développé, à un moment donné de sa vie, une maladie : on est alors en quête de facteurs de vulnérabilité, d’événements de vie, de pathologies préexistantes, etc… L’autre approche, dite « populationnelle », vise à mettre en évidence des facteurs très généraux, qui rendraient compte du fait que la prévalence d’une pathologie est supérieure dans une population, comparée à d’autres. Les facteurs étiologiques mis en évidence par ces deux approches seront, à l’évidence, de nature différente : d’un côté, des facteurs individuels de vulnérabilité génétique, psychologique, ou autres, de l’autre des facteurs d’environnement indépendants du malade concerné.

Il est logique, même sans supposer des intentions machiavéliques, que, les producteurs engagés de bonne foi dans le soutien aux recherches vont tendre à privilégier les approches de « cas à risque », qui font en quelque sorte peser la responsabilité du pathologique sur l’individu, et non sur l’environnement, sans doute modifié par la consommation à très grande échelle du produit en cause.

L’obésité, le jeu excessif, l’alcoolisme, peuvent être regardés comme des pathologies individuelles, liées à des facteurs génétiques, psychanalytiques, etc…

En quelque sorte exonérés de toute responsabilité directe, les producteurs se voient renforcés dans l’idée que la consommation peut devenir la norme pour tous, les problèmes n’étant le fait que de quelques individus prédisposés, vulnérables, ou déviants.

schema 8

Pour tous les objets susceptibles de donner lieu à addiction – c’est-à-dire tous les objets de consommation – nous oscillons donc entre deux modes de régulation qui, à l’extrême, sont tous deux mauvais :

  • D’une part, le libéralisme absolu, dont les possibles inconvénients sont évidents. La consommation d’alcool et de tabac a été largement encouragée dans notre société, et, aujourd’hui, revenir en arrière s’avère extrêmement difficile, tant ces consommations ont été « normalisées », intégrées à notre culture. Et le soin aux alcoolodépendants, l’aide au sevrage tabagique, les recherches sur les causes individuelles de ces troubles, ne sont guère de nature à répondre à une question majeure de santé publique, les 45 000 morts par an en France attribués à l’alcool, et les 65 000 dues au tabagisme.
  • D’autre part, la prohibition pure, visant à l’extrême à « l’éradication » de l’usage. Elle se heurte au minimum à l’existence d’une minorité de marginaux – ou de « résistants » – qui font fi de l’interdit et des risques qui lui sont associés. Surtout, elle ne tient pas compte de la réalité, qui est que la majorité des expérimentateurs, même pour les « drogues » les plus dures, ne deviennent pas des consommateurs réguliers, et moins encore des addicts. Elle encourt donc à la fois le risque d’être inefficace, et celui de produire tant de la délinquance qu’un « illégalisme populaire », dangereux pour la démocratie : la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis fut pour ces raisons peut-être un succès en termes de santé publique, mais certainement une catastrophe au niveau de la société. La régulation ne peut donc se construire simplement sur le fondement d’indicateurs de santé, mais doit intégrer tous les paramètres culturels, sociétaux, liés à la consommation. Il s’agit donc non d’un problème de techniciens, mais d’une question éminemment politique.

Puisqu’aucun des modèles n’est bon dans l’absolu, il faut bien imaginer des compromis, et tenir compte de ce qui fonctionne le moins mal dans les régulations existantes.

Il est aussi évident qu’un mode unique de régulation pour tous les objets possibles d’addiction n’est pas réaliste, puisqu’on ne peut pas traiter de façon similaire les aliments, le sexe, l’héroïne ou le crack.

L’éventail des possibilités pourrait s’ordonner entre deux modèles, certes loin d’être parfaits, mais plausibles : le traitement de l’héroïnomanie d’une part, celui du jeu d’argent de l’autre.

La loi de 1970 en France est indéniablement répressive à l’extrême dans la mesure où elle prévoit des peines de prison pour l’usage simple, et elle est, de ce fait, très critiquable.

Dans le cas de l’héroïne le bilan actuel de cette loi vielle de 40 ans n’est toutefois pas totalement négatif. Seulement 1% environ de l’ensemble de la population fait l’expérience de son usage au cours de la vie, la majorité respecte donc l’interdit, sans souffrances particulières. Les utilisateurs réguliers et les dépendants sont assez peu nombreux pour ne pas apparaître dans des études en population générale. Surtout, pour ces derniers, des mesures importantes viennent tempérer le cadre prohibitionniste : la réduction des risques, politique de santé publique, permet de minimiser les dommages liés à l’usage, en favorisant l’accès au matériel d’injection, en permettant une information des consommateurs, en créant des lieux de proximité où ils peuvent recevoir conseils et éventuellement soins. Le soin des dépendants, faisant une part importante aux substituts légaux, buprénorphine ou méthadone, a grandement dédramatisé la vie quotidienne d’un héroïnomane : le traitement médical a aussi un impact sociologique, et le marché de l’héroïne n’est plus aussi attractif pour les trafiquants. Ce qui est dénoncé médicalement comme « détournement » de médicaments à des fins de trafic et de « défonce » a, en partie, un impact social non totalement négatif, puisque des opiacés deviennent d’accès facile et bon marché, ce qui rend moins captive la clientèle des dealers d’héroïne (et explique en partie leur reconversion dans le trafic de cocaïne….).

Ce modèle n’est évidemment pas parfait, et l’on peut noter le paradoxe apparent que constitue le fait d’avoir à vivre comme un délinquant, passible d’un an de prison, durant des mois ou des années, avant de devenir un dépendant relevant de soin… Elle devrait donner lieu à des modifications tant techniques – par exemple création de salles d’injection supervisées– que politiques – par exemple remise en question de la pénalisation pour usage simple, du moins sous la forme de peine de prison.

De l’autre côté, une loi récente, celle de la libéralisation partielle des jeux d’argent en ligne, peut représenter un modèle très différent. Il s’agit d’une véritable légalisation d’activités jusque là illicites : le jeu d’argent a été, durant des siècles, l’objet d’une prohibition, assortie d’exceptions pour les casinos, et pour les grands monopoles d’état que sont la française des jeux et le P.M.U. Cette prohibition millénaire a donc fait place à un marché concurrentiel, selon un modèle qui se rapproche du « modèle de Reno » évoqué plus haut. Il est trop tôt pour juger des effets de ce changement, mais il faut noter que dans ce cas le libéralisme est modulé par une régulation assez importante : Tout d’abord, seuls quelques types de jeux en ligne ont été légalisés : les pronostics sportifs et hippiques, et le poker. Les jeux de casino comme les machines à sous restent interdits. L’ouverture du marché ne concerne que les jeux en ligne, qui étaient, de toute façon, difficiles à interdire purement et simplement, du fait du caractère mouvant et international d’Internet. Ensuite, les opérateurs sont soumis à un cahier des charges exigeant, tant au niveau de la protection de la jeunesse et de la lutte contre le jeu excessif, que contre le blanchiment d’argent. Surtout, des instances de régulation sont mises en place : l’ARJEL (autorité de régulation du jeu en ligne, comité consultatif des jeux pour les jeux en « dur », assorti d’un observatoire des jeux.

Dans le cas de l’héroïne, la réduction des risques et les traitements de substitution modulent tant bien que mal ce qui reste un modèle très prohibitionniste. Pour le jeu, ces régulations modulent ce qui est un modèle libéral, avec la possibilité d’éviter une expansion infinie de l’offre.

Perfectibles, ces deux approches peuvent fournir une idée des deux pôles entre lesquels pourrait s’ordonner une régulation pour tous les objets d’addiction, en fonction de leur dangerosité, ou de leur potentiel addictif supposé. La prohibition ne fonctionne que si elle est assortie de mesures de réduction des risques, et de la proposition d’alternatives jugées moins dangereuses que le produit en cause. Le modèle libéral ne fonctionne que si les divers opérateurs sont soumis à une régulation extérieure et indépendante, c’est-à-dire si une possibilité, même virtuelle, de prohibition, est présente.

Il est évident que la nourriture, ou les jeux en réseau, ne peuvent et ne doivent être règlementés de la même façon que les drogues ou les médicaments. Mais il serait trop simple – et il en est pourtant généralement ainsi – de faire comme si existaient des objets de consommation absolument mauvais et dangereux – les drogues – et d’autres totalement inoffensifs, qui ne devraient être régulés que par les lois du marché.

Bibliographie

Avena N, Rada P., Hoebel BG. : Evidence for sugar addiction : behavioral and neurochemichal effects of intermittent, excessive sugar intake, Neuroscience and Biobehavioral Rev. 32, 20-30, 2008.

Blaszczynski A., Ladouceur R.: “A science-based framework for responsible gambling : the Reno model”, Journal of Gambling Studies, vol.20 (3): 301-317, 2004

Delattre N.: Scientisme et guerre des sciences, Psychotropes, vol.16 (3-4) :77-88, 2010

Derrida J. : La Pharmacie de Platon, in La Dissémination, Paris, Seuil, 1972.

Descola Ph : Par delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

Binswanger L.: Introduction à l’analyse existentielle, Paris, Ed de Minuit,  1971.

Canguilhem G., Le normal et le pathologique, Paris, Presses Universitaires de France, 1966.

Descola P.: Par delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2006.

Griffiths M.: Fruit machine gambling: The importance of structural characteristics. Journal of gambling studies, 1993 – (Springer ed)

Hacking I.: Entre science et réalité, la construction sociale de quoi?, Paris, La découverte, 2001.

Hodge J. E., McMurran M., Hollin C. R. (Eds.), Addicted to crime? Glasgow: John Wiley & Sons Ltd, 1997.

Holden C.: Behavioral addictions: do they exist? Science, 294(2001), 980-982.

Kalant H: What neurobiology cannot tell us about addiction, Addiction, 105, 780-789, 2010.

Kalant, H. Drug classification: science, politics, both or neither?. Addiction, 105: 1146–1149. 2010.

Koob G., LeMoal M.:Neurobiology of addiction, Academic Press, 2005.

S. Ledermann, J. Weill : Pour une lecture critique de la « Loi de Ledermann ». Suivi d’une réédition partielle de l’ouvrage de Sully Ledermann : Alcool, Alcoolisme, Alcoolisation, Paris, Ireb, 1993.

Le Moal M.: Voiles toutes vers le passé, Psychotropes, 2009/2 (Vol. 15)

Lenoir M, Serre F, Cantin L, Ahmed S.: Intense sweetness surpasses cocaine reward. Plos One, 2(8) e698. 2007.

Miller W.R., Rollnick S., Motivational interviewing. Preparing people to change addictive behavior, Guilford Press, 1994

Peele S. (with Archie Brodsky): Love and addiction, Taplinger, N.Y, 1975.

Prochaska, JO.; DiClemente, CC. The transtheoretical approach. In: Norcross, JC; Goldfried, MR. (eds.) Handbook of psychotherapy integration. 2nd ed. New York: Oxford University Press; 2005. p. 147–171.

Reith G.: (2007) Gambling and the contradictions of consumption: a genealogy of the ‘pathological’ subject American Behavioral Scientist 50 (13) pp1-23

Rose G.: Sick individuals and sick populations, Int. Journ. Of Epidemiology, vol. 14, N°1, 1985.

Schmidt C. La Neuroéconomie, Paris, Odile Jacob, 2010

Schull ND. Machines, medication, modulation: Circuits of dependency and self-care in Las Vegas. Culture Medicine and Psychiatry 2006, 30 : 223-247

Skog, O-J., Elster J.: Getting hooked : rationality and addiction.  Cambridge University Press;1999.

Slutske W.: Natural recovery and treatment-seeking in pathological gambling: results of two U.S. national surveys. Am J Psychiatry 2006, 163 : 297-302

Stiegler B., Prendre soin, Paris, Flammarion, 2008.

Valleur, M. La nature des addictions, Psychotropes, 2009/2 (Vol. 15)

Valleur M, Matysiak J.C : Les addictions Paris, Armand Colin, 2002 ‘rééd. 2006).

Valleur M, Matysiak J.C : Le désir malade, Paris, J.C. Lattes, 2011.

Van Houdt T.: Healing words. Ancient rhetoric and medecine in Pascasius Justus treatise, Alea sive de curanda ludendi in pecuniam cupididate, Res Publica Litterarum, 2008.

Overdose : prévention et réaction (vidéo)

Cette vidéo à l’initiative du département de la Santé du Gouvernement catalan et de l’Agence de Santé Publique de Barcelone est un outil d’information et de prévention de l’overdose d’opiacés destinée à public de consommateurs de drogues par injection. La version française a été produite par l’AFR.

Anxiété et addictions

par Marc Valleur

Les différents types d’addicts

800px-Kratom_PillsL’alcoolisme, les toxicomanies, mais aussi le jeu pathologique constituent aujourd’hui le cadre élargi des addictions, et les discussions sur la place ou la « réalité » des addictions sans drogues renouvellent des débats fort anciens sur la nature même de l’ensemble des addictions.

Pour toutes les addictions se pose en effet la question de leur statut épistémologique, comme de leur place dans la vie du patient concerné : faut-il les considérer comme une maladie en soi, ou au contraire comme un symptôme ? Faut-il traiter l’addiction de façon spécifique, ou mettre l’accent sur des facteurs sous-jacents, supposés plus profonds, sinon forcément causes de la conduite addictive ?

La fréquence des comorbidités psychiatriques, notamment parmi les patients suivis dans des lieux spécialisés, est bien connue : troubles de l’humeur, et anxiété sous ses diverses formes, sont notamment très fréquents chez les « addicts » de toute sorte.

Mais la corrélation n’implique pas un lien clair de causalité, ce qui est encore plus vrai pour les troubles anxieux : ceux-ci pourraient être la cause d’une conduite addictive, qui prendrait le sens d’un évitement de l’angoisse, ou au contraire en être l’effet, l’anxiété accompagnant régulièrement les conséquences psychiques et sociales de l’addiction, notamment dans les phases de sevrage.

Il ne faut pas, en fait, opposer ces deux visions, qui contiennent chacune une part de vérité. Si la conduite addictive peut avoir une fonction anxiolytique, elle peut à long terme, en un cercle vicieux, aggraver les troubles préexistants, y compris les troubles anxieux. Il convient toutefois de distinguer, parmi les « addicts », deux grandes catégories, qui se retrouvent pour l’alcoolisme, pour les toxicomanies, pour le jeu pathologique :

  •  D’une part les addicts impulsifs, transgresseurs, « ordalisants » recherchant le risque : ils correspondent aux descriptions les plus classiques des toxicomanes, mais se retrouvent aussi parmi les joueurs ou les alcooliques.
  • D’autre part, les addicts par « automédication », qui recherchent dans l’effet des substances, dans le jeu, mais aussi dans la routine de la dépendance, plus l’anesthésie, l’anxiolyse, ou l’action antidépressive, que des sensations fortes et de l’aventure. C’est évidemment dans ce dernier groupe que l’on peut s’attendre à retrouver des sujets pour lesquels le trouble anxieux est premier, la conduite addictive constituant une tentative d’y faire face.

L’addiction, une automédication ?

L’effet des « drogues » Cette automédication peut, à court terme, correspondre à l’effet direct des produits : l’alcool peut avoir une fonction désinhibante, les opiacés sont de formidables anesthésiques, qui calment toutes les formes d’angoisses. Il existe donc une rationalité dans l’usage de substances, tant de façon positive (recherche de plaisir) que négative (évitement de la souffrance et de l’angoisse).

Le rôle de l’addiction. Mais l’automédication n’est jamais si simple et logique : les excitants et le jeu, qui ne sont pas du tout sédatifs, peuvent être utilisés dans le même but de lutte contre l’anxiété. L’habitude, le caractère éminemment prévisible des séquences addictives, joue le rôle de rassurement, et ce même dans le cas de conduites transgressives et risquées. S’il est possible de voir surtout la recherche de risque et de sensations dans le fait de jouer, ou de prendre des drogues, l’engagement dans la dépendance confère à la drogue ou à la conduite une autre valeur : l’aventure se transforme en routine, dans le passage de l’abus à la dépendance. Ceci explique les discordances régulièrement retrouvées en matière de recherche de sensations, entre les « usagers fréquents » et les « dépendants », ces derniers apparaissant comme moins preneurs de risque et moins chercheurs de nouveauté.

L’addiction, une source d’anxiété

800px-Lexapro_pillsSi une anxiété préexistante – anxiété généralisée, phobie sociale, trouble panique, syndrome post traumatique – peut expliquer le recours à l’usage de drogues ou l’entrée dans la dépendance, il est tout aussi indéniable que la conduite addictive va devenir source d’anxiété. C’est d’évidence le cas pour les formes de dépendance à faible dose de benzodiazépines, qui sont utilisées comme anxiolytiques ou hypnotiques, mais qui, tolérance oblige, finissent par ne plus remplir leur rôle, alors que le patient en est devenu dépendant. Il devient, avec le temps, difficile de faire la part de ce qui relève du syndrome anxieux initial, et de ce qui est directement dû aux signes de sevrage… L’anxiété, la nervosité, les insomnies, les manifestations de « stress », font partie de tous les syndromes de sevrage, quel que soit l’objet de l’addiction. Ainsi, ce qui, initialement, peut avoir fonction de rassurement, devient en soi source d’anxiété. Les modèles explicatifs des addictions font une large place à ce style de cercle vicieux, dans lequel ce qui, initialement, apaise ou procure du plaisir, en vient peu à peu à aggraver le malaise initial.

Les données épidémiologiques

Plusieurs enquêtes épidémiologiques (en Australie, en Hollande, aux U.S.A) ont fourni des données précieuses sur ce sujet. La plus ambitieuse est sans conteste l’étude « NESARC » (National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions) nord-américaine.

Les données, en matière d’usage et d’abus d’alcool, mais aussi de substances illicites, tendent à confirmer les hypothèses théoriques, et montrent aussi qu’il n’existe pas un modèle unique de lien entre anxiété et addictions.

Elles montrent en effet une forte augmentation des troubles anxieux (anxiété généralisée, phobie sociale, agoraphobie, trouble panique, syndrome de stress post-traumatique) chez les alcoolodépendants comme chez les toxicomanes. Mais elles soulignent aussi que les syndromes anxieux précèdent souvent la survenue des troubles addictifs : elles ne tranchent donc pas sur le sens d’une causalité entre les deux catégories de troubles.

Dans le cas de sujets présentant des troubles « externalisés » (conduites antisociales, hyperactivité…), l’anxiété serait un facteur de moindre risque d’abus ou de dépendance (la crainte des dommages ou de l’interdit social jouant un rôle protecteur).

Que traiter en priorité ?

Ces données montrent bien qu’il convient de ne pas sous-estimer les divers syndromes anxieux préexistants, et valident donc, au moins partiellement, une vision de l’abus et de la dépendance comme automédication.

Mais elles montrent aussi, notamment quant aux différences entre usage d’alcool et de drogues illicites, que l’anxiété peut être un facteur de protection contre les formes les plus transgressives et les plus explosives d’usage de substances psychoactives.

Faut-il donc, en cas de coexistence d’un syndrome anxieux et d’une addiction, traiter préférentiellement l’un ou l’autre ?

Contrairement à la vision théorique, selon laquelle il faudrait traiter le « problème de fond », sans trop se préoccuper du « symptôme » addictif, le traitement de l’addiction doit, le plus souvent, être considéré comme prioritaire. Il est par exemple généralement illusoire de traiter pour anxiété un patient alcoolodépendant qui continue à consommer.

Mais un schéma qui consisterait en une séquence simple où alterne un premier temps de type sevrage ou, (dans le cas des opiacés) traitement de substitution, puis un second temps de thérapie adaptée au syndrome anxieux, serait, lui aussi, trop simpliste.

C’est le plus souvent de façon globale qu’il convient d’agir, en prenant en compte parallèlement addiction et anxiété, dans le cadre d’approches thérapeutiques « multimodales ».

Chaque avancée dans le soin de l’addiction diminuera les causes d’anxiété, et, dans le cadre d’un accompagnement au long cours, la dynamique du cercle vicieux pourra s’inverser en un « cercle vertueux ».

par Marc Valleur, Médecin-chef de l’Hôpital Marmottan

Bibliographie

Burns L., Teesson M., Alcohol use disorders comorbid with anxiety, depression and drug use disorders. Findings from the Australian national survey of mental health and welle being. Drug and alcohol dependence, 68, 299-307, 2002.

Degenhardt L., Hall W., Lynskey M. : Alcohol, cannabis and tobacco use among Australians : a comparison of their associations with other drug use and use disorders, affective and anxiety disorders, and psychosis. Addiction, 96, 1603-1614. 2001.

De Graaf R., Van Bijl R., Smit F., Vollebergh W., Spijker J. : Risk factors for 12 month comorbidity of mood, anxiety, and substance use disorders : findings from the Netherlands mental health survey and incidence study. Am Journ. Psychiatry, 159, 620-629, 2002.

Gorwood P. : Troubles anxieux et alcoolisme : les liaisons dangereuses, La revue du praticien, vol. 60, 801-806, juin 2010.

Hasin D.S., Stinson F.S., Ogburn E., Grant B.F., Prevalence, correlates, disability, and comorbidity of DSM IV alcohol abuse and dependence in the United States : Results from the national epidemiologic survey on alcohol and related conditions, Arch Gen psychiatry, 64, 830-842, 2007.

Hofmann S.G., Richey J.A, Kashdan T., McKnight P.E. : Anxiety disorders moderate the association between externalizing problems and substance use disorders : Data from the national comorbidity survey revised. Journ. Of anxiety disorders, 23, 529-534, 2009.

Tests de dépistage de drogues dans les urines : la fausse bonne idée.

Par Elizabeth Rossé

Le 14 Avril 2010, c’est par voie de presse que les professionnels du champ de l’addictologie apprennent la mise en vente dans les pharmacies d’un test « domestique » permettant le dépistage des drogues dans les urines.

L’entreprise Narcocheck propose déjà divers tests de dépistage des drogues dans les urines voire sur les vêtements ; ces tests, disponibles en ligne, sont destinés aux professionnels (Hôpitaux, cliniques, laboratoires, centres de dépistage et de prévention, centres de désintoxication, maisons d’arrêt, prisons, police/gendarmerie) et aux particuliers…

On peut déjà arguer d’un premier fait : ces tests ne sont pas fiables. Il y a des situations de faux négatifs et de vrais positifs. Les experts tels que Monsieur Mallaret, le président de la commission des stupéfiants, se sont toujours montrés méfiants à l’égard de ces tests urinaires.

Outre cette remarque scientifique, il est nécessaire de rappeler que l’usage de tests de dépistage en France fait l’objet d’une procédure précise et que toute évaluation positive dans les urines ou la salive induit un contrôle sanguin. L’utilisation de ces tests ne peut être effectuée légalement que par une personne habilitée par la loi avec les garanties procédurales (médecins ou policiers). Ni parents, ni enseignant ou éducateur, ni employeur ne sont autorisés. C’est pourquoi L’AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) interdit donc la vente en officine de ces tests.

En tant que soignants nous n’utilisons pas ces techniques. L’expérience clinique enseigne que l’examen biologique est inutile : les déclarations du patient sous le sceau du secret médical sont très fiables. L’examen biologique ne sert alors qu’à vérifier si la personne a bien consommé le type de substances qu’elle pense avoir consommé.

Le seul intérêt de ces tests réside dans une auto-évaluation : quand une personne souhaite savoir non pas ce qu’elle consomme (parce qu’a-priori, les gens savent ce qu’ils consomment) mais si elle est positive. Avec l’alcootest cela peut servir à savoir si on est dans la limite légale ; avec le cannabis, il n’y a pas de dose légale puisqu’il est interdit en France. Par contre une personne peut vouloir connaître s’il est positif ; par exemple, dans le cadre d’un entretien d’embauche pour lequel un test de dépistage des drogues est discriminant.

Les débats au sujet de ces tests de dépistage ne sont pas nouveaux ; ce qui l’est c’est la notion d’accessibilité à tous. Il s’agit bien ici de commerce et donc de trouver des nouveaux acheteurs quitte à s’appuyer sur l’anxiété légitime des parents quant à l’usage de cannabis de leurs adolescents.

Ce qui est dangereux c’est la manière dont ces tests sont présentés. Le discours mercantile sous-entend :

1. que la drogue est responsable de tous les maux et concerne surtout les jeunes ; de tels propos réveillent « la grande peur de la drogue » et ne permettent pas d’aborder mille autres sujets qui peuvent tout autant représenter des épreuves et des difficultés pour les jeunes.

2. que la confiance, le dialogue et l’autorité parentale n’existent pas au sein des foyers. Que les parents et adolescents sont incapables de communiquer. L’introduction de tels tests dans les foyers risque d’engendrer des situations de paranoïa entre parents et enfants. Un climat de suspicion s’installe, les relations flambent et se tendent, le dialogue est d’autant plus difficile. Cette situation (« fais pipi dans le bocal, je vais contrôler tes consommations, mon chéri… ») peut être vécue comme humiliante… Autant d’éléments qui vont exactement dans le sens opposé à l’idée initiale des vendeurs de tests !

Ces débats rendent compte de la place attribuée à la drogue depuis 40 ans dans notre société, celle de bouc émissaire ; accusée d’être le fléau de nos sociétés, responsable de tous les maux, ravageant la jeunesse … Qu’il est aisé de faire porter à un objet toutes les difficultés de la société alors que bien d’autres comportements de notre quotidien sont à l’origine de problématiques toutes aussi importantes et toutes aussi addictives ! L’alimentation, les jeux de hasard et d’argent, l’alcool… mais de ces comportements on en parle moins certainement est-ce dû pour partie à leur statut légal et aux enjeux économiques et culturels qu’ils représentent.

Curieusement, au moment où le ministre du Budget dit qu’il faut s’intéresser aux problèmes d’addiction concernant les jeux de hasard et d’argent, la ministre de la Santé lance une énième campagne à propos du cannabis…

Déficients sur le plan technique, douteux sur le plan juridique, ces tests de dépistage sont hautement condamnables sur les plans déontologiques et éthiques. Ce que réveillent ces tests ce sont essentiellement de vieux réflexes sécuritaires.

Autre sujet que viennent requestionner ces débats : la loi de 70. Nous vivons en France depuis 40 ans dans un contexte de prohibition ; les personnes qui ont imposé ce cadre viennent dire maintenant que la lutte contre la toxicomanie ne fonctionne pas. Rappelons que la loi de 70 est une loi d’exception : le simple usage d’un produit ne concernant que la personne elle-même dans la sphère privée est passible d’un an de prison. Il est certainement temps que le cadre change.

La loi de 70 a été complétée à de nombreuses reprises, mais toujours dans le sens d’une amélioration de la lutte contre le trafic. Pour les usagers, le texte n’a jamais été remanié ce qui lui doit de sévères critiques au regard de l’évolution du phénomène de la toxicomanie. Il en résulte une mise en œuvre chaotique, hétérogène laissée à l’appréciation des acteurs chargés de la répression.

Comment se pose aujourd’hui la question du sevrage : les traitements de substitution doivent-ils constituer les traitements de première intention dans la dépendance aux opiacés ?

M. Valleur, Centre Marmottan, Paris.
Extrait de la conférence de consensus sur les stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution, juin 2004, Lyon.

“« This odious disease, for by that name it should be called » (B. Rush : An inquiry on the effects of ardent spirits upon the human body and mind, 1785.)

« La guerre que la profession médicale livre à certaines drogues, tout en en prônant d’autres, n’est qu’un des multiples épisodes de la longue histoire de sa participation aux conflits politiques, nationaux et religieux » (T. Szasz, 1973)

« Treatment of addiction is as successful as treatment of other chronic diseases such as Diabetes, Hypertension, and Asthma » (N.I.D.A : Principles of drug addiction treatment, 1999)”

L’aspect technique et médical des questions posées dans le cadre d’une conférence de consensus ne doit pas masquer le fait que le traitement de la dépendance aux opiacés ne peut s’aborder en dehors du contexte plus vaste de la place, dans la société, de l’intervention en toxicomanie, qui participe à la régulation de l’usage des substances psychoactives.

Politique de réduction des risques, prise en compte des impératifs de santé publique : les changements considérables qui sont intervenus depuis une dizaine d’années dans ce champ, notamment du fait de la pandémie de sida, et aujourd’hui de l’hépatite C, font que les pratiques de substitution recouvrent des réalités très diverses et des objectifs différents. Il est, de façon générale, difficile de savoir dans les bénéfices de la substitution quelle part revient à des éléments sociologiques, comme le fait, pour les usagers, de disposer de produits médicamenteux à faible coût et possiblement moins dangereux que des substances illicites. Certaines formes de mésusage, comme les détournements créant un marché clandestin de produits de substitution, peuvent être perçus comme un échec sur le plan thérapeutique, mais avoir certains effets bénéfiques sur un plan collectif, en constituant un moindre mal, par rapport à la situation antérieure…

Les discours médicaux et scientifiques ne peuvent être indépendants de ce contexte plus large, et la définition de bonnes pratiques ne peut faire l’économie d’une réflexion sur la « philosophie » de l’intervention.

Les sens multiples du mot sevrage

Dans ses conclusions, la conférence de consensus sur le sevrage des sujets dépendants des opiacés notait (Fédération Française de Psychiatrie, A.N.A.E.S, 1998) un glissement sémantique, donc une possibilité de flou et de confusion concernant le terme même de sevrage. Ce mot est en effet désormais à deux sens, renvoyant tantôt de façon classique au « manque », au syndrome de sevrage, à la privation de toute substance apparentée à « la drogue » (ici les opiacés), tantôt au traitement de la toxicomanie, traitement qui inclut – et le plus souvent en première intention – le recours aux opiacés de substitution.

Le sevrage au sens 1 – traditionnel – désigne donc l’absence de toute prise d’opiacés, tandis que le sevrage au sens 2 – actuel – s’accommode du maintien de la dépendance aux opiacés.

Encore faut-il souligner que « dépendance » est aussi un terme polysémique : il s’agit ici de la dépendance « physiologique », dépendance au sens traditionnel de l’O.M.S, d’interaction entre un être vivant et une substance, avec création d’un besoin pour cette substance, mais non une « centration » de l’existence, une addiction pleine au sens « D.S.M » ou « C.I.M » de la dépendance à une substance.

C’est la deuxième acception qui paraît devoir être privilégiée ici, les traitements de substitution, y compris la « maintenance » ou l’entretien au long cours, voire à vie, constituant l’une, et sans doute la principale modalité du « sevrage » des sujets dépendants des opiacés.

Il est en effet admis que cette maintenance au long cours est le mode de prise en charge à privilégier en matière de dépendance à l’héroïne ou à d’autres opiacés, et ce fait est même – puisque la maintenance n’est réellement prônée que pour elle – l’une des principales caractéristiques de cette forme de dépendance. Il n’existe en effet guère de traitements de maintenance dans d’autres pratiques addictives, où le sevrage – au sens 1 ou traditionnel – et l’abstinence, la prévention des rechutes, l’accompagnement au long cours, gardent une place prépondérante.

Les pratiques actuelles des centres de soin ont encore compliqué cette polysémie du « sevrage » :

Il se pratique en effet de plus en plus des « sevrages sélectifs », c’est-à-dire – en hospitalisation ou en ambulatoire – des traitements pour cesser totalement certaines consommations, ( alcool, benzodiazépines, cocaïne, etc…) tout en gardant un traitement de substitution. Ainsi que cela avait été plusieurs fois souligné dans la conférence sur le sevrage, la « polytoxicomanie » est en pratique plus la règle que l’exception, et le sevrage garde une place centrale dans la prise en charge des dépendants aux opiacés… Mais il ne s’agit que rarement, ou partiellement, de sevrage d’opiacés.

Nombre d’actions thérapeutiques visent aussi non le sevrage pur et simple, mais le rééquilibrage de traitements, et constituent parfois des « sevrages partiels », avec par exemple arrêt des injections, mais maintien de la délivrance du produit en cause, ou diminution des doses…

Il convient par ailleurs de noter une autre évolution dans la place du sevrage au sens 1 :

Longtemps, les traitements de substitution ont été considérés comme un pis-aller, une solution de dernier recours, voire un traitement palliatif chez des héroïnomanes anciens, après nombre d’échecs des « désintoxications » et de rechutes après des sevrages qui constituaient le traitement de première intention.

Aujourd’hui, c’est plutôt l’abstinence totale et le sevrage au sens 1 qui sont renvoyés à un futur aussi lointain qu’hypothétique : il est souvent admis que le but du traitement doit être l’abstinence, mais que ce but est en quelque sorte secondaire à la réussite de l’équilibre, au long cours, par un traitement de substitution. Celle-ci est donc considérée comme un traitement de première intention, même si le sevrage et l’abstinence doivent toujours être proposés ou accompagnés, si les patients le veulent, ou s’il s’agit de jeunes, dont la dépendance n’est pas réellement installée.

L’existence de « primo toxicomanies » aux produits de substitution montre le risque d’une interprétation par trop mécanique de la notion de « traitement de première intention »…

Mais il faut par ailleurs souligner que l’abord médical – celui des « guidelines » de prescription de la substitution – n’est pas la seule référence des différents intervenants en toxicomanie ou en addictions : des approches non médicalisées, comme celles des groupes d’entraide de type Alcooliques anonymes – Narcotiques anonymes, ou d’institutions se référant aux traitements de conversion en douze étapes (le « modèle Minnesota » du centre Hazelden en Amérique du Nord, ou du centre Apte en France) gardent l’abstinence totale comme but et moyen du traitement. L’attrait exercé par ces groupes ou ces communautés montre la persistance d’une forte demande pour les « drug-free treatments », le sevrage et l’abstinence.

Ceci doit, au quotidien, inciter les cliniciens à prendre au sérieux les demandes de sevrage ou d’arrêt de la substitution.

Arrêter la substitution ?

La littérature scientifique tend actuellement à refuser tout bien fondé à ces demandes, et à ne les interpréter que comme illusions dangereuses ou résultats d’une pression « idéologique » de l’entourage (Déglon, 2003). La volonté de promouvoir la méthadone comme médicament, et à la différencier des « drogues » peut conduire à des ruptures entre les soignants et des soignés qui voudraient diminuer ou cesser la prise de ce médicament. Un clivage radical pourrait s’instaurer entre des prises en charge « officielles » de type médical privilégiant la maintenance, et des prises en charge « alternatives » par les groupes d’entraide ou des communautés renvoyées à la clandestinité.

Une attitude plus souple devrait s’imposer, gardant une place à la possibilité de sevrage au sens 1… Mais elle implique une réflexion sur le statut de la dépendance par rapport à d’autres maladies, sur la mutidimensionnalité des problèmes soulevés, comme sur la place de la chimie dans le traitement, entre traitements d’équilibre et traitements d’expérience.

Les opinions divergent sur les réponses à donner aux demandes de sevrage, comme il n’y a guère de consensus sur la durée optimale des traitements de substitution. La littérature penche plutôt en faveur de traitements à vie, les risques de rechute étant très importants même à distance de la période de toxicomanie active. Certains auteurs sont à ce sujet si catégoriques qu’ils interprètent toute demande de fin de traitement comme un symptôme dépressif méritant systématiquement … une augmentation de traitement (Déglon, 2000).

La conviction de beaucoup tient semble-t-il à l’idéologie nouvelle qui promeut activement une vision biomédicale des dépendances : si celles-ci sont des maladies chroniques, liées à des perturbations définitives des circuits dopaminergiques, il faut considérer le traitement substitutif comme une suppléance à vie sur le modèle du diabète ou d’une insuffisance hormonale.

Cette vision de la toxicomanie comme un trouble irréversible est en fait discutable :

– Toutes les dépendances sont des problématiques longues, dans lesquelles les rechutes sont fréquentes, et où les résultats devraient être évalués au très long cours. Les comparaisons entre les modes de prise en charge doivent tenir compte de la « maturation spontanée » (maturing out), c’est-à-dire du fait qu’une « carrière » de dépendant, même en dehors de toute prise en charge n’est pas éternelle (voir p.ex L. Nadeau, 2001). Les modes de sortie de la toxicomanie sont variés, et ne passent pas toujours par la voie du traitement médicalisé (voir Castel et coll, 1998 ). Ce qui est vrai de l’alcoolisme, du jeu pathologique, de la cocaïnomanie, est aussi valable pour la dépendance aux opiacés.

– Après un temps long de « maintenance » et d’équilibre, certains patients diminuent les doses et souhaitent mettre fin au traitement : cet objectif n’est, au très long cours, pas irréaliste ( p. ex. Reisinger, 2000, Hiltunen et coll, 2002).

Si les arguments convergent pour que les traitements puissent être utilisés au très long cours, voire à vie, en déduire, comme le font de très nombreux auteurs, que la dépendance correspond à une altération irréversible de circuits cérébraux, et que l’équilibre médicamenteux doit traiter tous les problèmes présentés par les toxicomanes paraît un court-circuit logique quelque peu hâtif.

Abord biomédical et abord psychosocial : la complexité de la clinique

Les « guerres de la substitution » qui ont eu lieu en France doivent être relues comme un épisode de la confrontation entre des conceptions qui s’opposent, en matière de toxicomanie, d’alcoolisme, de dépendances, depuis fort longtemps :

D’un côté, les tenants d’une vision médicale et biologique de la dépendance vont décrire celle-ci comme le résultat de l’interaction entre une substance et une personne, voire entre une molécule et une synapse. La toxicomanie, les dépendances, l’addiction, sont présentées comme une « maladie du cerveau », c’est-à-dire une perturbation durable ou définitive des circuits cérébraux. Conformément aux idées défendues depuis les années 60 par Dole et Nyswander (1965) le traitement consiste à rééquilibrer un système perturbé dans son équilibre cybernétique (p.ex. Koob et Le Moal, 1997) en fournissant, de façon continue et définitive, les éléments manquants. Il existe actuellement une pression forte et militante pour faire entrer les dépendances dans le champ de la médecine somatique, aux côtés du diabète, et en parallèle, une disqualification des discours non strictement médicaux, sociologiques ou psychologiques.

Les progrès scientifiques en neurobiologie sont mis en avant, alors même que les implications cliniques n’en sont pas toujours évidentes. Une « scientifisation » des discours pourrait en venir à remplacer une réflexion clinique, et ne fait parfois que maintenir un bizarre dualisme, comme si le cerveau des neurobiologistes et la psychologie n’étaient pas simplement deux abords d’une même problématique. Par exemple, une phrase comme « les stimuli associés aux aliments, à l’eau et à la reproduction activent tous des voies cérébrales spécifiques et renforcent les comportements qui conduisent à la réalisation des objectifs correspondants. Les substances psychoactives activent artificiellement ces mêmes voies, mais de manière extrêmement forte, conduisant à un renforcement de la motivation à poursuivre ce comportement » (O.M.S, 2004) contient, indéniablement, une proposition vraie. Mais on peut se demander si elle apporte beaucoup de nouveauté par rapport à une vision classique, qui ferait dire « les drogues procurent un plaisir artificiel, plus fort qu’un orgasme sexuel »…

Il y a donc une volonté active dans la littérature scientifique de faire entrer les dépendances dans un champ médical : ce mouvement est en marche depuis 1785 et le premier travail de B. Rush sur les spiritueux, avec l’idée que devenir malade est déjà un grand progrès par rapport aux visions morales et religieuses des abus et des dépendances.

Cette inscription de la toxicomanie dans le champ de la médecine a été historiquement renforcée par la pandémie de sida, les approches de santé publique, le besoin de recourir aux médecins généralistes comme intervenants de première ligne.

Dans cette optique, la psychopathologie peut certes garder une place, mais en tant que « psychologie du pathologique » (Minkowski, 1999 ) : il s’agit d’aborder les sujets comme porteurs d’une maladie, qui ne saurait être réduite à un symptôme, et constitue un processus morbide à part entière. Cette « psychologie du pathologique » est elle-même multiple, et les modalités d’interventions ne sont pas les mêmes pour la maladie d’Alzheimer, le diabète, ou la schizophrénie. Le postulat incantatoire « la toxicomanie est une maladie, et la méthadone est son traitement » devrait souvent être plus détaillé…

– D’un autre côté, la fin des années soixante avait vu l’émergence de conceptions nouvelles en matière de toxicomanies, qu étaient venues nuancer, voire invalider, les « modèles de maladie » de type médical et scientifique, jugés par trop réducteurs.

Nombre d’éléments scientifiques, culturels ou historiques étaient en effet venus battre en brèche les visions médicales des dépendances, qui prévalaient depuis plus d’un siècle, et qui étaient basés sur l’interaction entre la substance et l’organisme.

De façon très rapide, on peut citer parmi les éléments de cette « crise paradigmatique » (Nadeau, 1988), les études (Marlatt 1985), sur les effets placebo de l’alcool, le paradoxe des soldats du Vietnam (qui ont en grand nombre « guéri » spontanément de leur héroïnomanie avec pour traitement la fin de la guerre et le retour au pays), l’émergence de nouvelles formes de toxicomanies chez les jeunes… Bref, tous les éléments qui obligèrent les cliniciens comme les chercheurs de toutes disciplines à faire une place, dans la genèse et le maintien des troubles, à l’environnement, au contexte, au « moment socio-culturel. Au plan théorique, cette remise en cause des approches biomédicales permit de redécouvrir des approches sociologiques et anthropologiques.

Au plan institutionnel, elle conduisit à l’émergence de nouvelles réponses et de nouveaux intervenants, pour la plupart situés en dehors des grandes institutions et du champ de la médecine.

Cliniquement, les nouveaux intervenants ont alors développé – en opposition au modèle biomédical – des théorisations « psychosociales » dans lesquelles usage de drogues et dépendances sont à comprendre comme un symptôme plus que comme un processus morbide, ramenant en quelque sorte la psychopathologie à une « pathologie du psychologique ».

Ils furent confortés dans leurs conceptions par les nombreux récits de patients aux enfances plus que mouvementées qui entérinèrent à la fois une vision de la toxicomanie comme automédication et une « hypothèse psychotraumatique » des troubles, ou le fameux « miroir brisé » (Olievenstein, 1982).

Ainsi s’explique « l’hégémonie du paradigme psychanalytique » dont parle le sociologue H. Bergeron (1999) ainsi que la méfiance envers les médicaments, vécus comme susceptibles de camoufler les problèmes plus que de les traiter, comme envers les thérapies trop directives qui pourraient n’être qu’un moyen de normaliser des comportements, sans aborder la question de fond des causes de la souffrance des patients.

Les excès ou les « intégrismes » de certains ont souvent conduit à une radicalisation des discours, voire à des affrontements entre des idéologies opposées, indépendamment d’ailleurs de la réalité, toujours très complexe, des pratiques.

Évidemment, les abords théoriques des dépendances doivent tenir compte de la part de vérité contenue dans toutes ces conceptions, et la toxicomanie devrait être conçue comme une entité à deux faces, à la fois symptôme et processus. La thérapie devrait pouvoir, au cas par cas et selon les moments de la trajectoire du sujet, répondre aux besoins de traitement de la « maladie » de la dépendance, et resituer le « symptôme » dans l’histoire individuelle du sujet, en lien avec sa structure psychologique. Cette double face du traitement pose de façon particulièrement aiguë la question de l’intégration de la pharmacothérapie (y compris, mais non seulement des traitements de substitution) et de la psychothérapie, avec ce qu’elle implique de transfert et de contre transfert, bref de référence à la psychanalyse, et en quoi elle sera toujours difficile à objectiver et à évaluer (voir Derrida, 2003).

Le caractère multidimensionnel des toxicomanies ou des dépendances rend illusoire l’idée d’une modalité de traitement unique, adaptée à tous les cas, à tous les moments de leur trajectoire : souvent la dépendance physiologique est au premier plan, et il serait abusif d’engager dans des approches psychologiques ou psychiatriques des sujets qui ne le souhaitent pas ou qui n’en ont pas besoin. Mais pour d’autres, il est évident que la dépendance s’inscrit dans une constellation de difficultés majeures, tant psychologiques que sociales, et réduire le traitement à sa part pharmacologique fait alors courir le risque d’une escalade inappropriée.

Traitements d’équilibre, traitements d’expérience

Ces débats qui ont agité le champ des toxicomanies autour de la question des traitements de substitution doivent aujourd’hui nous aider à mieux penser la place de la pharmacothérapie dans le domaine de la souffrance psychique, et particulièrement les liens entre psychothérapie et chimiothérapie (Valleur, Matysiak, 2002). De manière générale, les abords théoriques des addictions tendent à rendre caduques les guerres entre chapelles opposées : psychanalyse contre biologie, ou contre comportementalisme, pour mettre l’accent sur l’intégration des différentes dimensions, notamment biologie et psychologie.

La promotion des traitements de substitution pour les toxicomanes, dans les années 90, a eu deux grandes séries de justifications : d’une part, leur impact, notamment dans la lutte contre le sida, comme instruments supposés de la réduction des risques. D’autre part, la diminution, pour les usagers, de l’impact très négatif des politiques prohibitionniste, réalisant en quelque sorte une forme médicalement encadrée de légalisation.

Ces deux séries de fonctions ne sont guère d’ordre strictement thérapeutique, mais constituent plutôt des réponses sociales, à travers la facilité d’accès à des substances autrement prohibées. Il est toujours difficile, dans les évaluations des apports des pratiques de réduction des risques et de la substitution, de faire la part de ces facteurs purement sociologiques : « Les traitements de substitution s’intègrent à une conduite, à un mode de vie, à une consommation d’une gamme de substances qui permettent aux usagers une gestion moins chaotique et moins dangereuse, mais pas sans risque, de leurs usages de drogues et de la recherche de sensations, de relations, d’expériences » (Lert, 2002).

Les justifications proprement médicales, telles que présentées dans les manuels internationaux, sont d’un autre ordre : initialement par exemple, c’est un modèle métabolique de maladie qui sous-tendait les expérimentations de Vincent Dole et Mary Nyswander dans les années 60 aux Etats-Unis sur la méthadone auprès des héroïnomanes.

Leur idée était à la fois de prévenir des symptômes de sevrage, et d’obtenir un « blocage » des effets de l’héroïne. La buprénorphine (Subutex) est dans cette optique l’un des meilleurs médicaments de substitution : agoniste partiel des opiacés, elle « bloque » les effets des autres opiacés, et procure moins d’euphorie…

Toujours dans cette optique, les traitements de substitution sont évidemment des « traitements d’entretien » ou « de maintenance », destinés à équilibrer des mécanismes cérébraux : Il s’agit en quelque sorte de garder la dépendance, mais non l’addiction au sens plein du terme, et cette stratégie, dans nombre de situations, est fondée : il existe des dépendances aproblématiques, et c’est une visée thérapeutique légitime que de transformer en simple dépendance, sans difficultés psychologiques ou sociales, une addiction au sens plein…

Mais tant que les patients sont, eux, dans une recherche d’éprouvés, de sensations, d’expérience, il risque d’y avoir des malentendus quant à ce qui est attendu des médicaments : d’un côté l’équilibre et l’absence d’effet, de l’autre la quête de « défonce », d’éprouvés violents…

Même au niveau d’une approche de type psychopathologique, nous sommes ici dans un contexte de « traitements d’équilibre », qui prévaut dans l’ensemble du champ des troubles psychiques ou des maladies mentales.

Les neuroleptiques, pour les psychoses, ou les antidépresseurs, sont en effet considérés comme des traitements qui doivent être pris très régulièrement, pour de très longues périodes, sinon pour la vie entière.

Ces « traitements d’équilibre » justifient le recours récurrent dans la littérature à la métaphore de l’insuline et du diabète : ils correspondent à une maladie qui est perçue comme dysfonctionnement permanent d’une fonction physiologique, la dépendance au traitement n’étant que la suppléance de la dépendance normale, physiologique, à la substance naturellement produite par l’organisme.

A ces traitements d’équilibre, il serait possible d’opposer des « traitements d’expérience », qui ont d’autres visées, et qui correspondent à une conception différente des troubles en cause.

Les hospitalisations pour sevrage, les séjours en centres de post-cures, qu’il s’agisse d’alcoolisme, de toxicomanie, de troubles des conduites alimentaires, constituent essentiellement des expériences de vie différente, notamment fondées sur le changement du cadre, du contexte de vie : la base physiologique de ces traitements peut se trouver dans les expériences animales, qui ont démontré le caractère déterminant du contexte dans le maintien ou la fin de la dépendance (on peut rendre un rat dépendant de l’héroïne ou de la cocaïne, au point qu’il se laisse mourir de faim, simplement parce qu’il préfère la drogue. Mais le changement de cage peut mettre fin à cette dépendance : v. p . ex. Simon, 1997).

La visée de ces traitements n’est plus l’instauration d’un équilibre au long cours, mais le vécu d’une expérience, dont le thérapeute espère qu’elle puisse, de façon durable, marquer la mémoire du sujet, modifiant ainsi sa relation à l’objet de l’addiction.

Nous voyons ainsi qu’en matière de dépendance aux drogues, il est erroné, sur le plan logique, d’opposer, comme le font trop d’auteurs, des stratégies thérapeutiques fondées sur le sevrage et l’abstinence, à d’autres stratégies, fondées, elles, sur la substitution et la « maintenance ».

En effet, constituant un état, un équilibre au long cours, la substitution est du même registre logique que l’abstinence, telle que la vivent les membres Alcooliques anonymes, c’est-à-dire un traitement à maintenir toute la vie, sous peine de rechute et de mort.

Le sevrage, en tant que simple expérience, qui peut simplement permettre au sujet de « rechuter », de retrouver des sensations de « défonce » plus fortes, une fois la tolérance dépassée, est, au contraire, non logiquement du côté de l’abstinence, mais de celui de l’éprouvé, de la sensation, de l’expérience, voire de la « défonce ».

Il est inutile de souligner que les traitements d’équilibre ont la faveur des scientifiques, et celle des laboratoires pharmaceutiques, depuis la grande révolution pharmacologique des années 50.

Il est infiniment plus rentable de promouvoir un traitement régulier, au long cours, si possible pour la vie, qu’une expérience unique, éventuellement renouvelable, mais de façon sporadique.

Au point que si l’on imaginait un traitement efficace, en une seule fois, des dépendances ou plus généralement de maladies, il est peu probable qu’un laboratoire accepterait d’y investir des moyens : l’efficacité thérapeutique, dans cette fiction, s’opposerait trop à l’efficacité commerciale.

L’histoire des traitements en psychiatrie montrerait au cours du XXème siècle un désinvestissement progressif de traitements d’expérience, au profit de traitements d’équilibre.

Longtemps, les traitements furent en effet conçus comme des expériences radicales, voire de véritables épreuves, parfois dangereuses, dont le sujet était censé sortir radicalement transformé.

Depuis le XVIIème siècle s’étaient développés ces traitements « de choc », depuis l’immersion subite dans l’eau froide, aux douches, aux tourniquets, et autres mécanismes destinés à surprendre, à déstabiliser les sujets, pour modifier, par une expérience extrême, leurs relations au monde.

C’est la révolution pharmacologique des années 50, avec pour modèle de traitement les neuroleptiques, puis les antidépresseurs, qui devait imposer une perception de la chimiothérapie psychiatrique comme traitement d’équilibre.

Ces rappels peuvent nous aider à comprendre pourquoi les premières expériences de traitements par hallucinogènes, avec le L.S.D. à la fin des années 60, ou les propositions plus récentes d’utilisation de l’ibogaïne ou de l’ayahuasca en toxicomanie ne devaient pas entrer dans le courant dominant des dogmes médicaux et pharmaceutiques.

Il convient pourtant de faire aujourd’hui une place nouvelle à la notion de traitements d’expérience, et de développer les réflexions sur un champ de recherches pratiquement abandonné.

Pour une pratique souple de la substitution

Alors que l’efficacité de la substitution tient, en grande partie, à la dépendance qu’elle induit, et à l’absence de modifications importantes de l’état de conscience des sujets, à certains moments, les mêmes sujets vont, précisément, vouloir retrouver des effets psychoactifs que la substitution n’apporte plus.

Une alternative aux traitements de substitution est la délivrance des substances même que recherchent les toxicomanes, et particulièrement l’héroïne, qui a fait l’objet d’expériences de distribution contrôlée, avec des résultats fort intéressants, qui doivent permettre de relativiser la notion de dangerosité des substances.

Elle démontre toutefois qu’à côté de la « maintenance », et parfois de l’aide au maintien de l’abstinence, se trouve la place de l’accompagnement des rechutes (et non simplement de la prévention des rechutes), et que la prescription, pour les toxicomanes, de substances psychoactives majeures, hors d’une optique de traitement d’entretien, pourrait trouver une place.

Plutôt qu’opposer ces approches, il faudrait imaginer qu’elles soient des propositions, des outils correspondant à des étapes différentes de la « carrière » du sujet, le long d’un chemin thérapeutique, plutôt qu’un « programme » rigide.

Il est admis que la rechute fait partie intégrante des traitements de toutes les addictions : alcool, tabac, drogues, jeu et troubles des conduites alimentaires, et qu’en l’acceptant, elle fait alors partie du chemin thérapeutique et peut devenir une étape maturante. Plus qu’une prévention des rechutes, la prescription d’héroïne pourrait constituer un exemple d’organisation et d’accompagnement de la rechute, à la fois dans une optique thérapeutique, et dans un objectif de réduction des risques.

L’expérience d’une prescription d’héroïne n’aboutirait pas forcément à une substitution à l’héroïne, la prescription de psychotropes pourrait être négociée, et discutée, au fur et à mesure de l’accompagnement thérapeutique.

L’intégration des traitements, à l’intérieur du cadre de la relation psychothérapeutique, est en effet l’un des moyens majeurs d’intégrer les dimensions psychologiques et biologiques de la dépendance.

Le traitement est alors négocié entre thérapeute et patient, en fonction de l’expérience qu’il produit, et de son caractère éventuellement positif : cette expérience entre dans le cadre de ce que L. Binswanger aurait appelé, (à une époque où les frontières entre neurologie et psychanalyse étaient d’actualité) « l’expérience intérieure de vie » et non des « mécanismes vitaux ».

Nous sommes ici éloignés du consensus entre psychiatres et laboratoires pharmaceutiques, selon lequel « la chimiothérapie rend le patient accessible à la psychothérapie » : ce consensus correspond aux approches dominantes depuis les années 50-60, c’est-à-dire depuis la grande révolution psychopharmacologique.

Ici, il conviendrait plutôt de dire que la qualité de la relation thérapeutique permet l’expérience de traitements, dont la gestion, en fin de compte, reviendra au sujet concerné.

L’importance de l’ambiance des centres de soin, de la qualité relationnelle entre thérapeute et patient est régulièrement évoquée dans toute la littérature, mais il s’agit d’éléments mal évaluables, donc souvent relégués au rang de pétition de principe. L’alliance thérapeutique est pourtant l’élément essentiel, le cœur d’une prise en charge, qui permet seul de moduler et d’adapter le recours aux différents outils, dont les médicaments.

Une critique est souvent faite, en clinique, aux traitements de conversion de type Alcooliques anonymes : l’idéal d’abstinence y est porté si haut que tous les traitements psychotropes y sont sinon systématiquement bannis, du moins mal vus, et que des patients y sont conduits à vouloir cesser de prendre des médications antidépressives, neuroleptiques, anxiolytiques… L’abstinence révèle certes une psychopathologie sous-jacente, mais le remède peut donc s’avérer pire que le mal.

Une rigidité médicale, qui entraînerait une « crispation » idéologique des soignants envers toute tentative de réduction ou d’arrêt de la substitution pourrait, en miroir, devenir très contre-productive.

L’expérience du Centre Marmottan, lieu emblématique des conceptions psychosociales des années 70, et de la construction d’un « Toxicomane » symbolisant à la fois souffrance de l’exclusion et révolte ou marge revendiquée dans l’accès au plaisir, tend à montrer que la pratique de la substitution peut s’accorder à des visions assez peu médicales de la toxicomanie.

Mais surtout que le traitement pharmacologique peut, de façon souple, au cas par cas, être intégré pleinement à la relation thérapeutique.

En pratique, lorsque l’on dispose des moyens suffisants pour mettre en place un pôle de délivrance quotidienne des médicaments, associé à des propositions de suivi psychothérapique et social, les différences pharmacologiques entre buprénorphine et méthadone apparaissent moins importantes que les autres aspects de la prise en charge. Les comorbidités de tous ordre n’entraînent pas obligatoirement une proposition d’augmentation de la substitution, mais une diversification des réponses (Blaise et coll, 2002 )

Le traitement doit plus être conçu comme un accompagnement au long cours que comme un programme préétabli, ce qui permet une renégociation, au fur et à mesure de l’évolution, entre l’équipe et le patient, tant des objectifs du traitement que de ses modalités. La substitution est tantôt perçue comme « dépannage » ponctuel, tantôt comme sevrage plus ou moins dégressif, tantôt comme maintenance. Aucune de ces utilisations n’est, en soi, bonne ou mauvaise : c’est au très long cours que devra s’évaluer l’ensemble de la prise en charge, au regard de critères très divers, mais parmi lesquels la subjectivité du patient doit garder une place primordiale.

Bibliographie

– Amato L, Davoli M : Methadone at tapered doses for the management of opioid withdrawal : (Cochrane review) In : The Cochrane Library, Issue 1, 2004, Chichester, U.K. : John Wiley and sons, Ltd.
– Augé-Caumon M.J, Bloch-Lainé J.F.et coll : L’accès à la méthadone en France, rapport réalisé à la demande de B. Kouchner, 2002
– Bergeron H., L’État et la toxicomanie : histoire d’une singularité française, Paris : Puf, 1999 (Sociologies)
– Binswanger L : Introduction à l’analyse existentielle, Paris : Les Éditions de Minuit, 1971
– Blaise M, Hautefeuille M, Valleur M : Buprénorphine haut dosage, l’expérience du Centre Marmottan, Alcoologie et addictologie, 2002, 24, (3), 243-252
– Castel R. (dir.) : Les sorties de la toxicomanie, Fribourg, Editions Universitaires, 1998 (Res Socialis)
– Déglon J.J : Arrêt de la méthadone : attention, danger !, T.H.S, mars 2003, 910-11
– Déglon J.J : Durée optimale des traitements de substitution, T.H.S, Juin 2000, 383 – 6
– Derrida J : Substitutions, in Olievenstein (dir.) Toxicomanie et devenir de l’humanité, p.81-118, Paris, Odile Jacob, 2001
– Dole V.P, Nyswander M : A medical treatment for diacetylmorphine (heroin) addiction : a clinical trial with methadone hydrochloride. JAMA, 1965, 193, (8), 646-650
– Dugarin J, Nomine P : Des principe et aléas de la substitution. Psychotropes RIT, 1995, 1, (1), 13-19
– Faggiano F, Vigna Taglianti F : Methadone maintenance at different dosages for opioid dependence : (Cochrane review) In : The Cochrane Library, Issue 1, 2004, Chichester, U.K. : John Wiley and sons, Ltd.
– Fédération Française de Psychiatrie : Modalités de sevrage des toxicomanes dépendants des opiacés, conférence de consensus, 23 et 24 avril 1998, Paris
– Ferri M, Davoli M, Perruci C.A : Heroin maintenance for chronic heroin dependents (Cochrane review) In : The Cochrane Library, Issue 1, 2004, Chichester, U.K. : John Wiley and sons, Ltd.
– Frémont C : Subutex°, traitement de substitution des pharmacodépendances majeures aux opiacés dans le cadre d’une thérapeutique globale de prise en charge médicale, sociale et psychologique…La grande illusion. Les Cahiers de la CPAM de Nantes, octobre 2003, (1)
– Gibier L : Prise en charge des usagers de drogue, Paris, Doin, 1999
– Gowing L, Farrell M et coll : alpha 2 adrenergic agonists for the management of opioïd withdrawal (Cochrane review) In : The Cochrane Library, Issue 1, 2004, Chichester, U.K. : John Wiley and sons, Ltd.
– Gowing L.R, Ali R.L, White J.M : Systematic review processes and the management of opioid withdrawal. Australian and New Zealand Journal of Public Health, 2000, 24, (4), 427-431
– Hiltunen A.J, Eklund C : Withdrawal from methadone maintenance treatment. European Addiction Research, 2002, 8, 38-44
– Koob G.F, Le Moal M, Hedonic homeostatic dysregulation, Science, 3 octobre1997, 278, 52-57
– Lert F : Usage de drogues : l’évidence des traitements de substitution, Transcriptase, avril – mai 2002, (100), 52-54
– Marlatt G. A (Ed.)., Gordon J. R (Ed.) : Relapse prevention : Maintenance strategies in the treatment of addictive behaviours, New York ; London : The Guilford Press, 1985.
– Mattick R.P., Breen C., et coll. : Methadone maintenance therapy vs no opioid replacepment therapy for opioid dependence (Cochrane review) In : The Cochrane Library, Issue 1, 2004, Chichester, U.K. : John Wiley and sons, Ltd.
– Minkowski E : Traité de psychopathologie, Paris, Institut d’éditions Sanofi-Synthélabo Paris, 1999 (Les Empêcheurs de penser en rond)
– Morel A : Traitements de substitution à la buprénorphine : l’expérience française. Revue Documentaire Toxibase, 2000, (3), 1-37
– N.I.D.A : Principles of drug addiction treatment. A research-based guide, 1999
– Nadeau L : la crise paradigmatique dans le champ de l’alcoolisme, in Brisson P : L’usage de drogues et la toxicomanie, p. 185-199, Montréal, Gaëtan Morin, 1988
– Nadeau L : Toxicomanies et addictions : pour une clinique de la complexité, in Olievenstein (dir.) Toxicomanie et devenir de l’humanité, p.141-167, Paris, Odile Jacob, 2001
– O.M.S : Neurosciences : usage de substances psychoactives et dépendance : résumé. Bibliothèque de l’O.M.S, Genève, 2004
– Olievenstein C : L’enfance du toxicomane, in La vie du toxicomane, p.5-33, Paris, P.U.F, 1982
– Reisinger M : Traitements de substitution, traitements interminables ? T.H.S, Juin 2000, 387-9
– Seivewright N, Iqbal M.Z : Prescribing to drug misusers in practice – often effective, but rarely straightforword. Addiction biology, 2002, 7, 269 – 77
– Simon H : Pharmacodépendance. Quel modèle animal ? Pour quoi faire ? In : Dépendance et conduites de consommation, p.119-143, Paris : Les Éditions de l’INSERM, 1997 (Questions en Santé Publique)
– Valleur M : Trente ans d’intervention en toxicomanie, in Olievenstein (dir.) Toxicomanie et devenir de l’humanité, p.23-57, Odile Jacob, Paris, 2001
– Valleur M, Matysiak JC : Les addictions, toxicomanies, dépendances, repenser la souffrance psychique, Paris, Armand Colin, 2002
– Van Beusekom I, Iguchi M.Y : A review of recent advances in knowledge about methadone maintenance treatment. RAND Europe, 2001
– Weber J.C, Kopferschmitt J : Les traitements de substitution chez le toxicomane. La Presse Médicale, 1998, 27, 2088 – 99