Le jeu n’est pas une marchandise comme les autres !

L’équipe du Centre Marmottan tient à faire part de son inquiétude devant le projet de privatisation de la Française Des Jeux, ainsi que devant les déclarations de Mme Stephane Pallez, qui semble tenir pour négligeables les risques d’abus et d’addiction aux jeux d’argent.

Du fait de la demande de patients en souffrance, Marmottan a commencé à recevoir des joueurs dépendants depuis 1998, dans le cadre de la consultation d’addictologie. Il a fallu de longues années pour que cette pratique s’étende à presque tous les Centres de Soin, d’Accueil et de Prévention des Addictions, et que ce problème ait un début de reconnaissance officielle : ce fut la création du COJER en 2006, ainsi que l’interdiction de la vente de jeux aux mineurs. L’expertise INSERM de 2008 sur le jeu excessif formula nombre de recommandations, et lors de l’adoption de la loi de 2010, libéralisant certains jeux en ligne (le poker, les pronostics hippiques, et les pronostics sportifs), la nécessité d’une régulation puissante et efficace s’imposa, avec la création de l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne. Il s’agit en effet de respecter les objectifs de cette loi, qui sont avant tout de protéger les mineurs, et de lutter contre l’addiction.

Or, si contrôlée que fût cette libéralisation partielle, force est de constater que les pratiques de jeu d’argent se sont depuis intensifiées en France : les dépenses de jeu d’argent sont passées de 168 euros par an et par habitant en 2009 à 193 euros en 2016, la part des paris sportifs augmentant de façon régulière (Observatoire des Jeux, décembre 2017). En matière d’addiction, la vigilance est plus que jamais de mise.

Se réjouir, sans nuances, d’une augmentation du chiffre d’affaires de la FDJ (6% en un an), sans même évoquer les risques d’abus ou d’addictions, marque une rupture avec le discours tenu par la FDJ depuis 2006, (qui avait permis notamment de réduire l’impact du Rapido) et relève d’une approche strictement économique et comptable, et d’un déni de la responsabilité sociale de l’entreprise.

Nous avons l’impression de revenir à une époque, pas si lointaine, où une majorité d’opérateurs niaient purement et simplement l’existence des dommages individuels et collectifs liés à l’abus et à l’addiction au jeu.

Rappelons donc que les jeux de grattage peuvent donner lieu à abus, que les pronostics sportifs sont potentiellement tout à fait « addictogènes », et bien sûr que les pertes de contrôle se traduisent par des ruines, du surendettement, de la dépression, des divorces, des suicides…

Si l’on admet volontiers qu’une majorité de joueurs est capable de contrôle, et utilise le jeu comme simple divertissement sans grandes conséquences, il n’est pas admissible de nier les souffrances de tous ceux qui peuvent relever de nos consultations, et qui représentent déjà 10 % de notre patientèle, aux côtés des toxicomanes, alcooliques, ou addicts au sexe.

Toujours selon l’Observatoire des Jeux, les joueurs excessifs représentent 0,5% de la population, auxquels s’ajoutent 2,2% de joueurs « à problèmes » ou « à risque modéré : il s’agit bien d’une problématique de santé publique.

Le monopole d’État n’est sans doute pas suffisant pour protéger les joueurs/consommateurs. Mais une privatisation, même partielle, même en principe contrôlée, devrait être précédée de la mise en place, souhaitée par la Cour des comptes, de véritables instances de régulation, sur le modèle de l’ARJEL. Or, cette dernière instance, rappelons-le, ne s’occupe que de la part des jeux en ligne, croissante, mais largement minoritaire, et ne pourrait pas, en l’état, avoir la charge de la régulation du jeu en « dur ».

Plus que jamais se fait sentir le besoin d’une véritable autorité, dotée de moyens et de pouvoirs, afin que le modèle de régulation esquissé depuis 2010 puisse s’avérer viable.

Dr. Marc Valleur, psychiatre
Dr. Mario Blaise, psychiatre et chef de service
Irène Codina, psychologue
Dr. Guillaume Hecquet, psychiatre
Elizabeth Rossé, psychologue