Depuis leur création dans les années 70, les structures de prise en charge pour toxicomanes ont toujours été plus fréquentées par les hommes que par les femmes. Et ce, dans un rapport remarquablement stable de l’ordre de 75-80 % vs 20-25 %.
Des études ont cherché à comprendre s’il y aurait des spécificités à la toxicomanie féminine. Un pourcentage si bas serait-il la traduction d’une souffrance qui s’exprimerait dans d’autres champs de la pathologie mentale (l’anorexie par exemple) ? Ou bien incarnerait-il un rapport différent à la violence du produit et son environnement ? À moins que, tout simplement, les structures elles-mêmes soient moins bienveillantes avec les femmes qu’avec les hommes ? Une autre particularité du débat réside dans le fait que, parfois, il est difficile de savoir si l’on parle de la toxicomanie féminine à travers l’individu femme, ou à travers le prisme exclusif de son statut de mère, actuel ou potentiel. Et si l’enjeu serait non pas l’impact physique et psychique du produit chez la femme mais « seulement » l’impact du produit sur la qualité de la relation mère-enfant, comme si la femme n’était que mère.
Marion BARRAULT déplore ainsi le fait que, dans les études de prévalence entre autres, les spécificités d’usage de substances liées au sexe ne soient pas systématiquement abordées. Cependant, à travers quelques publications internationales, l’auteure tente de montrer en quoi la toxicomanie au féminin se démarque de la toxicomanie masculine. Les femmes toxicomanes seraient par exemple plus sensibles aux effets délétères des consommations avec moins de ressources en termes d’éducation, de revenu ou d’emploi et une histoire plus fréquemment marquée par des abus sexuels ou physiques. Elle décrit également la problématique spécifique que développe le fait de devoir jouer un rôle de mère et d’être en responsabilité d’enfants
Et pourtant, l’étude de Laurence SIMMAT-DURAND et coll. sur les trajectoires des femmes en sortie des addictions montre que c’est rarement une grossesse qui « leur a permis d’arrêter l’alcool ou l’héroïne, même si la maternité reste bien souvent la seule carrière possible de ces femmes, source d’identité et de valorisation ». À partir d’un échantillon de 116 femmes correspondant à 151 histoires procréatives, l’auteure décrit l’impact des grossesses dans leurs trajectoires d’addiction avec, par exemple, ce décalage entre un âge de première grossesse à 21 ans en moyenne et celui d’une première demande de soins à 26 ans.
C’est cette problématique qui explique pour Olivier THOMAS le regain actuel d’intérêt pour la toxicomanie au féminin. Après avoir défini la toxicomanie au féminin comme « une solution auto-thérapeutique passionnelle suite à un traumatisme », l’auteur interroge ce lien entre l’être femme et l’être mère notamment par l’étude d’un cas clinique.
Cette « discrétion » féminine dans le monde des addictions se poursuit avec les addictions sans drogues. Comme le signale Zorka DOMIC, dans le jeu pathologique, l’essentiel des publications est fait à partir de patients et non de patientes. Le jeu pathologique chez la femme ne serait qu’une « simple transposition ». À travers des vignettes cliniques, l’auteure met en évidence quelques éléments du profil psychologique de la femme addicte au jeu, tels que la solitude et l’ennui, l’angoisse et la mésestime de soi. Cet article se conclut sur le constat évoqué plus haut d’une plus grande difficulté d’accession aux soins « en raison de la violence provoquée par la stigmatisation et les préjugés sociaux dont elles sont encore victimes ».
C’est, entre autres, parce que les choses semblent s’organiser ainsi que l’article de Tiphaine SCULO est original puisqu’elle prend comme illustration dans la deuxième partie de son article, le cas clinique non pas d’un joueur pathologique mais d’une joueuse pathologique. Dans une première partie, cet article interroge la notion d’abstinence et de jeu contrôlé au regard des différents profils psychologiques des joueurs pathologiques. La typologie existante rend compte d’une grande hétérogénéité du profil de ces patients, nécessitant une adaptation personnalisée du parcours de soin, et donc une large gamme d’options d’intervention.
Dans cette optique, la communication de Davide ELOS est alors particulièrement pertinente. En effet, après avoir fait le constat que les communautés mixtes risquaient pour ces patientes d’être le lieu de la répétition des relations pathologiques habituellement vécues par elles, l’auteur témoigne de l’intérêt d’une communauté exclusivement féminine pour accueillir et prendre en charge ces femmes. En les protégeant d’un masculin vécu par celles-ci comme « la figure abusive » constituant « leur principale référence affective », une première phase du parcours thérapeutique peut être initiée. C’est ainsi que fut créée la communauté thérapeutique Fragole Celesti, à la fois lieu médico-sanitaire, récréatif et socialisant mais aussi lieu de prise en charge psychologique et de réinsertion professionnelle.
Dans ce numéro vous trouverez également 4 varias.
Le premier varia concerne cette problématique posée par Irène CODINA et qui prend de plus en plus de place dans nos consultations, à savoir la cyberaddiction sexuelle. Dans cette addiction, il convient de dégager à la fois l’addiction sexuelle d’une part et l’addiction sexuelle via Internet, d’autre part. L’auteure dégage deux sous-groupes dans la patientèle prise en charge à Marmottan : ceux pour qui internet a été l’amplificateur de l’addiction sexuelle et ceux pour qui il fut déclencheur. Mais la notion d’addiction sexuelle via Internet reste controversée. Ceci est d’autant plus regrettable que cela dissuade des équipes d’engager des prises en charge qu’elles sauraient faire pour permettre à ce type de patients « de vivre plus confortablement avec lui-même et avec les autres. » Ces prises en charge rencontrent des éléments classiques tels que nous les connaissons dans les addictions : la relativité de l’urgence, la notion de temps et l’évolution propre du patient par exemple.
Le second varia propose une ré-interrogation par Lise DASSIEU du concept relativement ancien de seuil d’exigence. Issue du secteur du travail social, cette notion a été déclinée dans le milieu de la santé sous divers modes que ce soit dans le domaine de la réduction des risques puis dans celui des traitements de substitution. Mais cette notion a été pensée par le bas et « ne désigne pas ici une diversité de niveaux d’exigence mais bien une adaptation de l’exigence à un public spécifique ». L’auteure redéfinit les notions de haut et de bas seuil qui ne sont pas forcément les acceptions les plus habituellement répandues.
Le troisième varia concerne les programmes d’échanges de seringues (PES) en prison. Exclusivement situées en Europe et en Asie Centrale, Ivana OBRADOVIC propose une revue internationale de ces expériences. Celles-ci permettent de tirer un bilan largement positif. Dans les pays qui n’ont pas développé de PES en prison, l’eau de Javel est proposée comme outil de RDR. Malheureusement, il persiste des doutes quant à l’efficacité de celle-ci en situation réelle (shoot et durée de désinfection) et encore plus sur le VIH. C’est le constat de cette inefficacité qui a poussé l’OMS à encourager le développement des PES.
Pour terminer ce numéro, nous vous proposons les réflexions et le constat fait par Julia MONGE sur un thème très peu souvent abordé qui est celui de la consommation de cannabis en famille, conjointement par les parents et/ou les enfants. Cette consommation a diverses significations. Lorsque l’usage est isolé et le fait de l’adolescent, cela correspondrait à une réinterrogation du cadre et des limites familiales. Dans le cas de l’usage simple, le partage occasionnel ne semble pas affecter la structure familiale si celle-ci se fonde sur une relation tridimensionnelle équilibrée. Par contre, une addiction partagée traduit « une profonde perturbation des relations interpersonnelles en contribuant à inverser l’ordre générationnel et à brouiller les limites spatiales. » (dehors/dedans, in/off).