Parole et addiction

Parole et addiction, Revue psychotropes, n°2, 2012

Editorial par Michel Hautefeuille

Le dossier de ce numéro est consacré au thème abordé lors de la journée d’étude organisée par l’IREMA et deux équipes universitaires de Montpellier, en septembre 2011 : « Parole et addiction ».

L’étymologie même du mot addiction (ad-dicere, -dicere=dire en latin) positionne d’emblée ce terme dans le champ du dire, de l’engagement et de la parole. Elle renvoie à la contrainte par corps, prononcée contre le redevable, et rejoint donc la notion de dépendance… Or nous savons qu’au cours d’une addiction, la parole peut s’altérer, tourner sur elle-même, donner dans la répétition, et finir parfois par perdre de sa crédibilité. En écho à cette parole se présente alors la diversité des écoutes.

La parole est et demeure l’outil principal de nos prises en charge, quelles que soient leurs références théoriques. On étudie le sens des mots qui en émane ou la signification des pensées qu’elle essaie de traduire. Mais au-delà du contexte de prise en charge, l’expérience des drogues est-elle seulement traduisible ? Toute verbalisation n’est-elle pas une caricature, un raté magnifique, une illusion, une quête ? Alors bien évidemment, si ce qui est dit est important, la façon de le dire l’est tout autant. C’est ce que nous allons voir à travers les articles publiés dans ce numéro.

Les modalités énonciatives, pour reprendre le terme de François PEREA, sont fort différentes « en fonction des usages et des modes d’addiction », mais également en fonction des phases d’absorption du produit. L’auteur nous propose une étude réalisée chez le sujet alcoolique autour de cette « parole ordinaire » dont il décrira quelques modifications caractéristiques touchant l’énonciation, l’énoncé et l’énonciateur au cours du déroulement d’une ivresse, cette intoxication pouvant amener à une désénonciation, définie comme « l’impossibilité de tenir un discours en fonction d’un état, d’une sensation, d’une émotion qui s’impose au sujet de manière prégnante, pour un temps variable ».

Bien sûr, les rapports entre drogue, prise de drogue et langage sont difficiles. La parole est un don du langage, disait Lacan, et, ainsi que le décrit Jean-Louis CHASSAING, mettre des mots sur l’effet (plus exactement l’Effet) des drogues est difficile, voire impossible. Ce serait même consubstantiel à la prise de drogues qui permettrait ainsi de s’extraire de la nécessité du langage et de ses conséquences.

Une réponse pourrait être ce que Georges Pérec désignait par le terme de « racontouze », c’est-à-dire cette façon de rendre compte de son quotidien, qui « croise subjectivité et objectivité ». Elizabeth ROSSÉ nous montre que cette identité narrative se retrouve au niveau de la constitution des avatars que se créent les joueurs de jeux vidéo. La « réalité » de l’avatar se substitue au joueur par une entité qui est à la fois lui-même et un autre, évoluant dans de « nouveaux lieux d’expression des questionnements existentiels ».

Pour clore ce dossier, Marc LEVIVIER nous propose de décrypter des extraits d’un groupe de parole dans un CSAPA, au regard de ce qu’il appelle les harmoniques de la parole, analogie empruntée à la musique où elles sont des multiples de fréquence fondamentale (pour ff, nous aurons ainsi 2xff, 3xff, 4xff, etc.) On pourrait les retrouver au travers de trois critères : analogie des associés, fonction syntaxique commune et communauté des images acoustiques. L’auteur montre comment ces critères peuvent apparaître dans le discours des patients et comment ils peuvent se combiner les uns les autres.

Enfin, et pour terminer ce numéro, nous vous présentons trois varias.

Le premier, en écho au dossier que nous venons de présenter, est le résultat d’une enquête réalisée par Pascal MENECIER et al. sur des personnes âgées de 65 ans et plus présentant une addiction à l’alcool. Parler de leur addiction est pour près des deux tiers d’entre elles « une aide, un soulagement, une opportunité ». À l’inverse, un tiers le vit comme « un dérangement, une honte ou une agression ». Les addictions chez les personnes âgées sont un champ souvent sous-estimé, qui est en train d’émerger. De fait, il faudra développer des stratégies spécifiques tant dans la prise en compte des attentes de ces personnes que de leur ressenti vis-à-vis des attitudes soignantes qui leur sont « proposées ».

Le deuxième varia est la communication d’Ivana OBRADOVIC et al., sur les conditions d’amélioration de l’accessibilité aux consultations jeunes consommateurs (CJC) et une évaluation de l’attractivité du dispositif concerné. Une difficulté réside dans le manque de repérage de ces structures tant par les jeunes que par les partenaires, qui oblige au développement d’un partenariat tant en amont qu’en aval. Cependant, il s’avère que les CJC sont un réel lieu spécifique d’accueil de jeunes en difficultés.

Enfin, parmi les rubriques que nous souhaiterions récurrentes, les notes de lecture devraient être amenées à se faire plus fréquentes dans notre revue. Nous encourageons nos lecteurs à nous faire part des ouvrages qu’ils trouvent intéressants. Ainsi, Pascal HACHET a souhaité revenir sur le livre de Serge Tisseron publié en 2008 dont le titre était Qui a peur des jeux vidéo ?

Sommaire

Dossier

François Perea : Ivresse, défonce et énonciation

Jean-Louis Chassaing : Drogue et langage. Ducorps et de lalangue

Elizabeth Rossé : La racontouze des avatars Les joueurs problématiques de jeux en réseau

Marc Levivier : Les harmoniques de la parole

Dr Pascal Menecier et al. : Perception des attitudes soignantes par des sujets âgés en difficulté avec l’alcool : étude exploratoire en milieu hospitalier

Ivana Obradovic et Christophe Palle : Comment améliorer l’attractivité d’un dispositif ciblant de jeunes consommateurs de drogues ? L’apport d’une démarche par focus groups

Note de lecture

Pascal Hachet : Note de lecture sur le livre de Serge Tisseron « Qui a peur des jeux vidéo ? »

Lire le numéro sur le site de Cairn.

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