Adolescence et identité : journée SERT 22/05/06

 

 

Le thème de notre journée, adolescence et identité, est vous en conviendrez un thème assez large que nous avons choisi un peu par défaut. En effet nous avons préféré éviter des titres plus ciblés qui nous paraissent trop réducteurs et mettent le projecteur sur un aspect qui serait voudrait emblématique de la problématique de l’adolescence et participer ainsi à une réduction de la réflexion..

 

En effet dans l’étude des problématiques de l’adolescence il y a aussi des phénomènes de mode: ainsi en fonction de l’actualité et des angoisses collectives, c'est-à-dire celles des adultes qui sont de fait ou potentiellement aussi des parents nous voyons mis en avant certaines problématiques : à une époque c’étaient des thèmes du type adolescence et transgression, adolescence et conduites déviantes, ou adolescence et conduites de risques. Actuellement certains thèmes semblent tenir le devant de la scène : adolescence et violence, adolescence et usage de cannabis. Au milieu de tout cela il est parfois difficile de faire le tri entre ce qui relève de la réflexion légitime et ce qui pourrait apparaître parfois comme une stigmatisation. L’exemple du cannabis est instructif à cet égard : à en croire les médias mais pas que les médias, le cannabis serait le problème quasiment exclusif de l’adolescence et de l’adulte jeune alors que dans nos consultations nous constatons que bon nombre de nos consultants ont plus de 25 ans et ils sont même très nombreux à avoir passé la quarantaine.

Si bien que nous pouvons nous demander si le discours sur la jeunesse en général et l’adolescence en particulier n’est pas empreint d’un certain parti pris.

 Mais il est vrai que cela est un fait aussi redondent qu’historique, la jeunesse ayant toujours à la fois fasciné et fait peur à l’ensemble de la société. Je cite : « Notre jeunesse est mal élevée. Elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d’aujourd’hui répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais. » Ces propos que l’on pourraient mettre dans le bouche de l’inventeur des sauvageons ou dans celle du roi du karcher, le ministre de l’intérieur sont en fait des propos de Socrate. Et Patrice Huerre nous rappelle également ces écrits d’Hésiode plus connu pour sa Théogonie qui s’écriait : «  Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible. Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut être loin. » Il faut rappeler qu’entre ces propos pessimistes et la chute de l’empire romain il va se passer plus de 10 siècles.

Cette confrontation intergénérationnelle est probablement aussi ancienne que la notion de famille et si cette confrontation n’aide pas forcément les plus âgés à devenir plus sages elle permet probablement aux plus jeunes de devenir adulte.

Ceci rappelle également le fait que les termes « adolescent » et « adulte » ne sont que deux conjugaisons différentes du même verbe : adulescere : grandir. L’adolescent en est le participe présent (adulescens : qui est en train de grandir), et l’adulte le participe passé (adultus : qui a grandi).

Dans la logique de ce continuum temporel, nous pouvons nous demander d’ailleurs en quoi il était pertinent de dégager un stade particulier, une étape singulière que serait celui de l’adolescence. L’adolescence n’existe pas estime certains, si ce n’est comme la traduction de notre incapacité à faire passer l’enfant à l’état adulte. Les rites initiatiques des sociétés primitives avaient au moins le mérite de régler de façon rapide et codifiée ce type de problème ou d’hésitation.

Pour revenir au terme d’adulescencs celui-ci a eu, ainsi que le rappelle P. Huerre des acceptions bien différentes en fonction des époques: ainsi dans le Rome Antique,  il désigne le jeune homme citoyen de 17 à 30 ans. Plus tard ce terme recouvre des connotations plus péjoratives puisqu’au XVIème siécle il désigne le vieux beau et au XVIIIème siècle il désigne un novice un peu niais, un morveux. Il apparaît alors que la définition de cette période est aussi difficile à cerner que la définition de l’age de la majorité : A Rome on est majeur dés 17 ans, alors que dans le droit féodal du XIIème siècle, la majorité correspond à la 25ème année d’existence, d’autres organisations sociales prenant comme date de majorité, la puberté vers 14 ans.

Au fil des siècles et l’augmentation de l’espérance de vie aidant, cette période intermédiaire difficilement cernable va elle aussi devenir de plus en plus longue et l’adolescence en tant que telle va prendre place à partir du XIXème siècle. Par la suite l’existence de l’adolescence devient un fait acquis dont sont sensés rendre compte des milliers de publications qu’elles soient médicales, psychologiques, sociales, démographiques, j’en passe et des meilleures. Elle deviendra même l’objet d’une science particulière l’hébologie ou éphébologie.

Le XXème siècle et ce debut de XXIème a donc construit et s’est accaparé cette période particulière.

Ainsi l’adolescence serait cette période s’étirant entre le début de la puberté vers 13ans et se terminant par l’entrée de la monde de l’autonomie et de la maturité pour reprendre les propos de Pommereau. Il faut remarquer qu’une des particularités de cette période c’est qu’elle est définie par deux bornes qui ne sont pas de même nature : d’un côté la puberté, borne objective bien que variable d’un individu à l’autre borne hormonale, physique assez précise. De l’autre une entrée dans le monde de l’autonomie, donnée beaucoup plus floue et surtout éminemment subjective et sociale. Cette dernière ayant tendance dans les sociétés industrialisées à s’étirer si bien qu’il devient difficile de savoir si vers 20 à 26 ans nous avons a faire à de vieux adolescents ou à des adultes jeunes.

Et nos sociétés occidentales modernes caractérisées par des changements de repères rapides et violents, différents d’une génération à l’autre, entrent bien évidemment en résonance avec cette période de l’adolescence décrite comme celles des changements physiques irréversibles, des changements psychologiques paradoxaux et durables et des changements sociaux plus ou moins progressifs pour reprendre les propos de Braconnier. Ainsi l’émergence et la prévalence des discours sur l’adolescence se fait dans le cadre d’une société parfois décrite elle-même comme adolescente. Ce qui ne participe peut-être pas à la clarté des débats.

Ce trouble dans les ressentis me semble observable par exemple dans le cadre particulier de la transgression à l’adolescence. Les phénomènes classiques de transgression étaient assez simples dans la mesure où le monde adulte posait des limites, limites que l’adolescent à certains moments transgressait en toute conscience et en le revendiquant haut et fort. Le combat était clair, les rôles bien repartis. Qu’on le veuille ou non l’opposition, la transgression, restent une forme de relation, un acte posé en réaction, à l’égard et contre les adultes. Mais nous restons dans le domaine de la communication. D’autres comportements s’inscrivent Le cannabis, dans bien des cas en faux par rapport à cette logique : c’est le cas par exemple de l’usage de haschich Chez nos consultants nous voyons bien que l’aspect transgressif de cette consommation est loin d’être au premier plan voire même qu’il constitue à peine un enjeu. Et c’est probablement là le vrai danger que représente ce problème si mal posé du cannabis. Pour reprendre les propos de Ph. Jeammet « en prenant du cannabis, les adolescents risquent d’être prisonniers d’une contrainte qui n’a plus rien à voir avec la transgression »  et plus loin «  la transgression proprement dite a fini par m’apparaître comme un phénomène presque secondaire ». Ainsi donc, et en fonction de ce que nous venons de dire a vouloir faire de l’usage du cannabis un acte exclusif des adolescents d’une part et un acte transgressif d’autre part me semble être une double erreur : Parmi les usagers de cannabis, les adolescents ne sont probablement pas majoritaires dans notre pays, et le côté transgressif de l’acte de fumer du cannabis a depuis longtemps disparu.

Cette contrainte dont parle Jeammet dans laquelle certains adolescents sont enfermés, ce retrait du monde qui les propulse hors d’atteinte des adultes est encore plus évident chez ces adolescents accro des réalités virtuelles que proposent par exemple internet ou les jeux vidéos. Au début ces conduites semblent même être aux antipodes de la transgression. Cela pourrait même apparaître pour une hyper adaptation : « j’étais heureuse de le voir faire de l’informatique dans sa chambre plutôt que de le voir traîner au pied de notre immeuble dans la cité », nous dira une mère en parlant de son fils accro d’internet. Et pourtant Dans bon nombre de cas nous verrons que la dépendance est telle, que plus rien d’autre n’existe en dehors du jeu, engloutissant les journées entières de l’enfant en question, et bien sur sa vie familiale, sociale et scolaire.

Enfin je voudrais signaler une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés lorsque nous rencontrons un adolescent.

Elle réside dans le fait de faire la différence entre crise de l’adolescence et adolescent en crise. Dans le premier cas nous sommes dans le cadre d’une évolution non pathologique même si les parents peuvent être angoissés, désorientés ou perplexes par rapport aux formes parfois tumultueuses que peut revêtir cette période. A l’inverse il conviendra de ne pas minimiser le tableau clinique présenté par un adolescent en crise. Nous savons que cet age peut être également la période d’entrée dans des pathologies durables et invalidantes, d’autant plus qu’elles auront été tardivement repérées. Dans ce sens mettre la consommation de produit sur le devant de la scène me paraît être une façon de minimiser la souffrance exprimée et de passer à côté de ce qui devrait être une évaluation pronostique. Nous savons très bien que nos jeunes patients comme leur famille sont plus prêts à accepter d’entendre que le problème en question est un simple problème de toxicomanie plutôt que d’entendre que ce dont il s’agit relève de la pathologie mentale. De même ils préfèrent imaginer comme traitement une désintoxication qui le guérirait et le purifierait de façon définitive plutôt qu’un traitement pharmaco chimique à la connotation parfois douteuse.